RCHIVES
Les
courants marins et tourbillons en Méditerranée et leur impact sur la vie marine
par
Isabelle Taupier-Letage, Ingénieur-océanographe à l’IFREMER (Toulon) ;
chercheur CNRS (Marseille)
Le 10 octobre 2007,
Isabelle Taupier-Letage, ingénieur océanographe, chercheur dans le laboratoire
d’océanographie et de biogéochimie, Université de la Méditerranée (antenne de
Toulon: IFREMER), nous a présenté son domaine d’études: les courants en
Méditerranée et leur impact sur la vie marine. Voici le résumé de sa
conférence.
La Méditerranée a été l’une des premières mers dont des
courants ont été décrits : dès l’Antiquité les marins avaient une
stratégie pour les utiliser (ils franchirent ainsi Gibraltar, même si leurs
mythes en avaient fait les bornes du monde), ou les éviter (Charybde et Scylla
rendaient le passage du détroit de Messine extrêmement difficile). Et des
travaux d’ « océanographie moderne » y ont été menés dès 1912.
Alors pourquoi les courants y sont-ils toujours étudiés actuellement, soulevant
même parfois de vives controverses, comme par exemple dans le bassin
oriental ? C’est que l’apparence d’une Méditerranée immobile (elle n’a
quasiment pas de marée) et uniforme (d’où son surnom « La Grande
Bleue ») est trompeuse : depuis les années 1980 les satellites en ont
fourni une toute autre image.
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La Méditerranée perdant plus d’eau par évaporation
qu’elle n’en reçoit par la pluie et les fleuves, son niveau diminuerait de 0,5
à 1 m environ par an, s’il n’y avait pas une entrée d’eau atlantique au détroit
de Gibraltar pour compenser cette perte, avec un débit de 0,5 à 1*106
m3/s. Cette eau atlantique circule en surface, car elle est moins
salée, donc nettement plus légère que l’eau méditerranéenne. Si l’on intègre
les données sur une période de temps suffisante (une à plusieurs années), l’eau
atlantique décrit deux grands circuits en sens anti-horaire, à l’échelle des
deux bassins occidental et oriental. Mais, à l’échelle instantanée, les images
satellitaires montrent principalement des méandres (surtout en rives nord) et
des tourbillons (plus importants en rives sud). Ces
tourbillons (dits de « moyenneéchelle ») sont
anticycloniques (ils tournent dans le sens horaire), ont des diamètres de 50 à
200 km, une extension verticale qui peut atteindre le fond ( 3000 m environ),
et des durées de vie allant de quelques semaines à environ 3 ans. Ils sont à
l’origine créés à proximité de la côte par l’instabilité du courant et, en
général, ils se propagent à la vitesse de quelques km/jour vers l’est, mais ils
peuvent aussi dériver au centre des bassins, et emporter ainsi de l’eau loin de
son trajet normal. La circulation générale est en fait une succession de
tourbillons qui se propagent, les courants instantanés étant déterminés par la
position des tourbillons ou des méandres. Il s’ensuit une importante
variabilité, à la fois dans le temps et dans l’espace, qui implique d’adopter
une stratégie d’échantillonnage particulière, sous peine de mal décrire la
situation et d’en tirer une analyse erronée. D’où des controverses sur la
circulation générale.
En s’appuyant sur le programme EGYPT que notre équipe
mène actuellement dans le bassin oriental. on verra comment s’organise une campagne à la mer, les instruments
utilisés, et les premiers résultats. Les expériences (prélèvements et mesures)
doivent relier des paramètres extrêmement nombreux et complexes, comme la
profondeur, la salinité, la température et les flux tant dans l’eau que dans
l’air.
Cette activité dynamique
(les mélanges d’eaux atlantique et méditerranéenne et surtout les tourbillons)
et la grande variabilité spatiale et temporelle qui en découle ont des
conséquences importantes pour l’activité biologique, car elles conditionnent la
distribution des algues (phytoplancton) et des petits animaux (zooplancton) à
la base des chaînes alimentaires, jusqu’à celle des gros animaux comme les
cétacés. Enfin, il est très délicat d’extraire une tendance climatique, qui est
de l’ordre de quelques centièmes de degré Celsius par an, quand l’amplitude de
la variabilité (moyenne échelle, saisonnière et interannuelle) est de quelques
degrés. Il faudrait donc développer des réseaux permanents d’enregistrement de
paramètres océanographiques analogues à ceux qui existent pour la météorologie.