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Ecolier de la revanche (1870 - 1920)
par Françoise POTTIER-BECHET, membre de l'Association
Françoise POTTIER est ancien professeur agrégé d'histoire au Lycée Blaise Pascal
Lecture: |
Texte fictif correspondant à une réalité de 1873 : les petits alsaciens-lorrains, ces écoliers qui écoutent M. Hamel deviendront allemands, les petits écoliers français qui liront ce texte, influencés aussi par des images telles que celles de Hansi, influencés par des romans, des manuels scolaires livres de lecture comme Le tour de France de deux enfants ou manuels d’histoire comme le petit Lavisse imprégnés de patriotisme par le souvenir des gloires militaires passées, devenus bons citoyens patriotes, formés en tant que conscrits, voudront restaurer La grande France face à l’Empire allemand, après la défaite, l’invasion et l’occupation de 1870-71. |
Pour rappel :
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Très tôt se forme une génération de la Revanche, ces écoliers en feront partie. Mais très vite l’institution scolaire allait entretenir un revanchisme profond par patriotisme mais aussi, face à un nouvel empire, l’Empire allemand, par républicanisme. |
La caserne Gribeauval, qui deviendra le site de notre Lycée Blaise Pascal |
L’écolier n’est peut-être pas aussi revanchard qu’on peut le supposer, mais il est porteur d’un espoir nouveau dans une France nouvelle, qui a connu en peu de temps deux républiques, deux royautés, deux empires. |
Photo de classe au Lycée Blaise Pascal |
La Prusse a humilié la France, la Prusse a unifié l’Allemagne sous son égide.
Le 5 octobre Guillaume I et son chancelier Bismarck s’installent à la préfecture de Versailles.
Les deux hommes, le roi soldat tenace, qui a le sens de la grandeur de l’Etat, et son chancelier, qui rêve d’une unité allemande sous l’égide prussienne, vont proclamer l’Empire et une nation unifiée dans la galerie des glaces (après une pseudo-comédie des représentants de la confédération de l’Allemagne du nord) le 18 janvier, date symbolique de l’anniversaire du couronnement du premier roi de Prusse en 1701.
La France de la revanche | C’est en ce lieu que Louis XIV avait selon Bismarck voulu humilier les Allemands par des conquêtes injustes. (Guerres de succession, il n'aaucun ressentiment à l’égard de Napoléon Ier, sinon il aurait choisi Fontainebleau). Il est par contre connu que Bismarck craignait une revanche française, que c’était sous la pression de son état-major qu’il avait accepté la prise de L’Alsace-Moselle de langue germanique. |
La Prusse est riche, son armée bien organisée et instruite.
« Nous avons affronté une armée d’un million d’hommes avec 180 000 combattants non préparés et 17% de nos conscrits ne savaient pas lire. Tel est le mal, le remède est tout trouvé : c’est le service universel et l’instruction obligatoire ».
Voilà ce qu’écrit l’historien Albert Sorel (1842-1906) dans la revue des Deux monde en 1871 (à ne pas confondre avec son cousin Georges Sorel, l’anarchiste syndicaliste). Thèse partagée par de nombreux français et en particulier par Ernest Lavisse (1842-1922). Reçu à l’agrégation d’histoire en 1865, protégé et secrétaire de Victor Duruy et recommandé par ce dernier pour être le répétiteur d’histoire du Prince Impérial en 1868, il fut très affecté par la défaite de 1870, il partit alors avec un modeste viatique à Berlin de 1872 à 1875 pour étudier l’histoire prussienne. Rallié au régime républicain dès 1876, il décide d’enseigner l’histoire de France aussi bien aux écoliers, par son premier manuel, qu’aux étudiants.
La France est un pays riche, le paiement des 5 milliards de francs-or et de l’entretien des troupes d’occupation est vite réalisé par un premier emprunt à 5% de 2 milliards couvert en 6h et rapportant 4,9milliards; le second emprunt est couvert 14 fois.
La France a des possibilités économiques, son problème est politique, les débuts de la Troisième République sont hésitants, il faut faire de l’enfant un bon patriote républicain attaché à sa terre d’autant que le pays est formé de 80% de ruraux; alors on le noiera dans un récit romancé comme le célèbre Tour de France de deux enfants publié une première fois en 1877 par Bruno (alias Augustine Fouillé) un record de librairie: 7 millions d’exemplaires, de la géographie, de la morale de l’instruction civique avec deux petits orphelins alsaciens-lorrains recherchant leur oncle pour rester français.
C’est un enseignement donné très tôt, plus de dix ans avant les lois scolaires de Jules Ferry, selon les possibilités et les sensibilités politiques de l’époque avec la loi Guizot de 1833 qui imposait sans bien y parvenir une école par commune de plus de 500 h, puis la loi Falloux de 1850 avec un école de filles pour une commune de 800h et surtout la loi Duruy de 1867 qui abaissait le seuil à 500h pour les filles, rémunérait mieux le personnel enseignant, créait la Caisse des écoles et enfin prônait la gratuité par un impôt nouveau communal. C’est dans cet enseignement, qui ne relève pas de l’Université, que le manuel doit influer sur les esprits et en particulier le manuel d’histoire qui devra mettre en valeur les gloires nationales. On lit par exemple dans le Petit Lavisse de 1876 à propos d’Alésia et de Vercingétorix: |
Après les lois scolaires de Jules Ferry, pendant 4 ans ministre de l’Instruction Publique (16 juin 1881: enseignement primaire gratuit, 28 mars 1882: enseignement laïc, obligatoire à l’origine de 5 à 12 ans), l’enseignement se formalise avec des programmes précis et les manuels doivent suivre le mouvement.
Je prendrai pour exemple le cas des manuels d’histoire, qui sont devenus pour l’historien Nora des lieux de mémoire.
Le professeur Lavisse est un des admirateurs de l’oeuvre scolaire de la Troisième République; pour lui, par l’école primaire devenue obligatoire, c’est un esprit nouveau qui va souffler sur la France. Cette adéquation aux idées de Jules Ferry s’explique par l’intérêt que cet universitaire, ancien normalien, ami de Victor Duruy, a toujours porté à l’école, pour plusieurs raisons :
On aime l’histoire en France (en tant que collectionneuse de petits ouvrages scolaires, je trouve facilement des grammaires ou des livres d’arithmétique du siècle dernier, et beaucoup moins facilement ceux d’histoire ou de géographie). |
Il est actuellement banalisé par son abondance et la richesse de son iconographie, mais au XIXème siècle ce n’était pas le cas.
Le marché scolaire aiguisé par les lois Ferry stimule les éditeurs au profil entrepreneurial, Belin, Colin, Larousse, Hachette, Delagrave, Mâme…etc. En deux ans de 1882 à 1884, il y aura la sortie de 42 petits manuels d’histoire de France à l’usage du primaire.
Deux d’entre eux ont un plus grand succès, chez Colin la collection dirigée par Lavisse et chez Belin la collection dirigée par Blanchet.
Progressivement et par souci de rentabilité les éditeurs vont se spécialiser et veulent des ouvrages très adaptés, complétés par des panneaux muraux et des cartes.
Ce manuel (le mot apparaît vers 1830) est un produit pédagogique culturel composite d’autant plus que les utilisateurs ne sont pas toujours les acheteurs. Après la généralisation des caisses des écoles vers 1890 qui proposent des spectacles payants ou des tombolas, seront financés l’achat des fournitures scolaires, les manuels que l’on prête et des livres de bibliothèques ou de prix. Peu à peu le Petit Lavisse, parmi les manuels d’histoire, s’impose, il est suivi et copié par tous, car il est attrayant (il suffit de comparer dans les années 1875-79 les ouvrages de V. Duruy et celui de Lavisse pour percevoir la différence entre un livre uniquement composé d’un texte et un livre imagé). Son attractivité est liée à la multiplicité des éléments qui le composent : des récits, des documents écrits d’auteurs connus, des graphiques, des cartes, des tableaux, (l’édition de 1884 mentionne 95 images et 14 cartes sur sa couverture), des exercices avec des questions de compréhension, des résumés et des illustrations. Cette iconographie didactique, en complément du texte, est très importante car elle renvoie à des symboles forts, il faut agir sur l’émotion des enfants par des scènes emblématiques accompagnées de légendes adaptées. Des images peuvent aussi donner le goût d’ouvrir le livre et de le feuilleter.
Un grand soin est apporté à la typographie : utilisation des gras et de diverses matrices. Les coûts de fabrication sont réduits par l’emploi de la linotype à plomb brevetée en 1885 et l’utilisation de presses rotatives depuis 1865 environ. Un plus grand soin encore est apporté au contenu, aux connaissances, car ce petit manuel touche aux sciences politiques, économiques, aux rapports avec la royauté ou l’Eglise. Il véhicule un système de valeurs et entre dans les familles avec le cartable de l’écolier.
En outre, après 1905, avec les mesures anticléricales qui influencent les manuels scolaires, il reste laïc sans être athée, et, de ce fait n’est pas mis à l’index (dans le Tour de France de deux enfants on supprimera la visite des cathédrales !). Le professeur Lavisse est une autorité intouchable. C’est donc un moyen efficace de diffusion de la pensée. (On le sait dans un autre domaine, comme celui de l’hygiène qui s’est propagée dans les familles par les manuels de sciences naturelles). Enfin il ne faut pas négliger le prestige de l’écrit, de l’imprimé : la sacralisation du livre. (D’où l’importance aussi du Livre de Prix, récompense du travail de l’écolier mais c’est un autre sujet).
L’auteur est donc très important et on fait appel à des universitaires reconnus dans leur spécialité comme Vidal de La Blache en géographie chez Delagrave et Hachettdue. Dès lors Désiré Blanchet qui publie chez Belin, pourtant normalien, agrégé, professeur et proviseur dans de prestigieux lycées parisiens, est vite évincé par Ernest Lavisse. Ce dernier, modeste boursier à l’origine, eut une carrière des plus brillantes: agrégé d’histoire, il fut distingué par Duruy, dès 1880 il enseigne en Sorbonne (titulaire de la chaire d’histoire contemporaine en 1885), membre de l’Académie française en 1892, spécialiste de l’histoire allemande et rendu célèbre par son Histoire de France en 27 volumes. On le considère comme l’héritier de Michelet et le fondateur de l’école d’histoire positiviste en France
Son manuel publié chez Colin devient ainsi le livre scolaire d’histoire de référence, un succès de librairie comparable aux 7 millions d’exemplaires célèbre Tour de France de deux enfants de Bruno.
Dans ce manuel, la continuité historique est voulue à partir des origines du pays (nos ancêtres, les Gaulois) à la période contemporaine de l’édition. (D’où les nombreuses rééditions).
Jusqu’en 1888, il était à peu près à égalité avec le Blanchet selon les enquêtes de recteurs dans l’académie de Lyon : 47% de Blanchet, 53% de Lavisse. (On estimait alors à moins de 10% les écoles travaillant sans livre ou avec un autre manuel).
Mais avec la notoriété du professeur Lavisse après 1890, Le Petit Lavisse prend l’avantage. On y présente une France immémoriale où tout concourt à la grandeur et à l’unité de l’Etat. Selon Olivier Loubes, historien spécialiste de la Troisième République:
« c’est un manuel qui se lit avec charme, tissé d’histoires légendaires, une suite d’histoire comme en racontent les grands-pères à leurs petits enfants, une narration puissante où chaque âge a son manuel. ».
II Un écolier influencé par son époque
Si l’école est la fabrique de la Nation et Lavisse le Pape de l’histoire, de 1870 aux années 20 plusieurs générations d’écoliers se succèdent, les intérêts politiques changent jusqu’aux années proches de la guerre que les historiens appellent les années de la montée des périls, années où les petits écoliers sont à nouveau poussés vers la revanche.
Il convient donc de voir les changements avant de comprendre leur influence sur les enfants.
Il serait trop long de les étudier dans ce cadre, je vais donc me contenter de les énoncer
Le premier est d’ordre politique avec le triomphe de la République et sa lutte contre l’Eglise qui culmine avec la séparation de l’Eglise et de l’Etat en 1905.
Le second est d’ordre économique avec la révolution industrielle qui bouleverse les métiers, les rapports ville – campagne, et la société.
Le troisième est la colonisation qui entraîne les regards des Français vers l’Asie ou l’Afrique où ils affirment la supériorité de l’homme blanc. On ne parle plus de Jules Ferry comme ministre de l’Instruction publique mais de Ferry-Tonkin !
L’expédition coloniale au Tonkin, partie nord du Vietnam actuel, est vivement critiquée, entraînant une guerre franco-chinoise. L’opposition entraînée par Clémenceau crie que le Président du Conseil ne pense plus à la ligne bleue des Vosges et qu’il sacrifie des militaires dans des guerres lointaines faisant plus de 1800 morts (en fait 5 et 37 blessés, le chiffre de 1800 étant sans doute celui des Chinois...), Ferry sera contraint à démissionner et mettra fin à toute carrière politique.
Il est un écolier marqué par la défaite, ce qu’il en a vu ou ce qu’il en a entendu dire. Le journal Le Parisien publie le 10 septembre une lettre du 3:
« J’ai comme tout le monde le coeur et les yeux pleins de larmes. J’ai assisté au défilé lamentable des troupes françaises allant rendre leurs armes ».
C’est Le dormeur du val du sonnet de Rimbaud, 17ème poème du carnet de Douai, écrit à 16 ans en 1870. Le texte de Daudet que je vous ai lu ou les tableaux d’Alphonse de Neuville tels le célèbre bivouac devant le Bourget, acheté au salon de 1872 par le ministre des Beaux-Arts ou les chromos accrochés aux murs de nombreux peintres que nous qualifions aujourd’hui de pompiers et dont nous ne connaissons plus les noms mais leurs panoramas devant Rezonville ou Champigny. C’est la période où sont formés les enfants qui seront les parents des combattants de la Grande Guerre, ceux qui lisent sur la couverture de leur livre d’histoire la célèbre formule
« Tu dois aimer la France parce que la nature l’a faite belle et parce que l’histoire l’a faite grande ».
Le pays porte les stigmates de la grande défaite et de l’invasion, avec les provinces perdues s’ouvre un contentieux avec une Allemagne souvent désignée sous le terme de Prusse. |
Extrait d’une chanson destinée aux enfants de 6 ans (citée par Mona Ozouf): « Pour la Patrie un enfant doit s’instruire Et dans l’école apprendre à travailler L’heure a sonné, marchons au pas Jeunes enfants, soyons soldats Braves et fiers nous dirons à la France Mère: voici le bras de tes enfants » |
La défaite de 1871 et la perte de l’Alsace–Lorraine sont alors ressenties comme une intolérable mutilation, une revanche est à prendre, car la Nation est une et indivisible.
Jules Ferry en lançant les nouveaux programmes qui accompagnent ses réformes, n’écrivait-il pas :
« Je désire reposer dans la même tombe que mon père, que ma soeur, en face de cette ligne bleue des Vosges, d’où monte jusqu’à mon coeur la plainte touchante des vaincus ».
Dans les provinces perdues la population continuait à marquer son attachement à la France par l’entretien des tombes des soldats tombés en 1870, ce qui donna à F.X. Niessen, exilé en France, l’idée de créer une association en 1887: Le souvenir Français dans ce but et qui fut reconnue d’utilité publique en 1906; en Alsace-Lorraine annexée l’association fut dissoute et ses principaux membres arrêtés par les allemands en 1913.
En 1881 Paul Bert crée une commission d’éducation militaire, il faut enseigner le maniement des armes, le déplacement des troupes, simuler des exercices de tirs, à ces fins seront créés les fameux bataillons scolaires dans les écoles, qui dureront jusqu’en 1892.
C’est une période paradoxale, où naissent de nombreux futurs combattants, période paradoxale qui insiste sur le relèvement de la France (53ème leçon, édition de 1892) :
« La France est un pays où l’on travaille beaucoup et le travail de tous contribue à la prospérité publique »
Le « cocorico » national étant la description de l’exposition de 1889 mais où le patriotisme est moins tourné vers une revanche que sur l’idée qu’il faut une « France grande, et forte ». On laisse toutefois planer l’idée d’un potentiel conflit possible.
L’armée est en effet en proie aux doutes et aux oppositions entre les générations, habilement Lavisse ne fait aucune allusion aux crises, au Boulangisme, courant nationaliste cocardier, et à l’affaire Dreyfus, qui ont divisé les Français, mais pose dans cette même leçon cette question :
« La France n’est-elle forte que par son armée ? ».
Avec les crises, l’esprit antimilitariste a progressé en France dans la bourgeoisie, effrayée sans doute par le service militaire égal et obligatoire pour tous, et dans les milieux républicains de gauche. (Un anti militarisme qui peut être antipatriotique, cf Gustave Hervé, courant très minoritaire, ou patriotique, cf Jean Jaurès) Cette armée se divise donc entre des conservateurs partisans de la Revanche dans l’esprit du général Boulanger qui s’est donné la mort en 1891 et d’autres militaires qui voient dans l’expansion coloniale une façon d’affirmer la grandeur de la France. Dans une même génération et parmi les plus grands de l’armée, on trouve ces tendances et ces hésitations : Foch (1851-1929) qui fait une partie de sa carrière dans l’Etat Major est un partisan de la Revanche, Gallieni (1846-1916) est un colonial et Joffre (1852-1936) oscille entre les deux camps.
Le livre d’école devient vecteur de l’héroïsme avec des images qui marquent comme le Lion de Belfort, mais aussi des récits où les héros sont soigneusement choisis.
Parmi les récits, et surtout dans ceux qui accompagnent la préparation au Certificat d’Etudes Primaires, toutes les époques sont concernées : de Sainte Geneviève qui rassure et sauve les Parisiens à l’approche d’Attila (chef des Huns donc des hordes germaniques) à Hoche : « soldat à 16 ans, Général en chef à 24, mort pour la Patrie à 29 », en passant par Du Guesclin qui s’enfuit à 16 ans (décidemment ! ...on peut s’engager à 17 !) de la maison paternelle pour guerroyer et passer en 1359 au service du Roi de France.
Mais parmi ces images d’Epinal en quelque sorte, il y en a une plus forte et plus symbolique encore, c’est celle de l’héroïsation du vaincu (S. Citron) ; le meilleur exemple est celui de Vercingétorix dont César en personne reconnaît la bravoure avant de le faire figurer à son triomphe après sa défaite.
La statue de Millet, de 1865 à Alésia, d'un Vercingétorix sous les traits de Napoléon III, qui avait suscité tant de polémiques, cesse d’être critiquée, elle est en bonne place dans les livres avec la célèbre inscription:
« La Gaule unie formant une seule Nation animée d’un même esprit peut défier l’univers ».
D’autres statues du jeune et brave chef arverne sont érigées ; en 1887 à Gien par Mouly et en 1903 à Clermont-Ferrand par Bartholdi, où, sur son cheval, il fonce vers la victoire de Gergovie. Dans cette même ville ou dans d’autres lieux d’Auvergne, s’ouvrent des écoles Vercingétorix, des casernes, des rues et des avenues du même nom, soulignant une page ô combien glorieuse de l’histoire de l’Auvergne.
Et pour les filles ? Elles bénéficient de l’école et des mêmes livres mais elles sont formées pour la sphère familiale. Elles étudient dans des locaux séparés de ceux des garçons avec des ouvrages de travaux manuels et des sujets différents à l’écrit comme à l’oral du « certif’ » montrant que leur rôle est celui d’être l’épouse ou la mère de futurs guerriers. Peut-être insiste-t-on davantage sur une « héroïne vaincue : Jeanne d’Arc », car dans les recueils de filles de préparation à l’examen on a en moyenne 5 pages de plus la concernant.
Dès sa béatification en 1909, et parfois avant, sa personnalité mythique inspire de nombreuses oeuvres, bien des églises, des écoles pourtant laïques ou des lycées portent son nom (elle sera canonisée en 1920, année de l’établissement d’une fête légale nationale). A Clermont-Ferrand est édifié entre 1894 et 1899 par l’architecte Theillard un lycée de jeunes filles, réputé pour être un des plus beaux exemples de constructions scolaires de la Troisième République. Tous les manuels scolaires affichent son effigie et même le Petit Lavisse du cours élémentaire présente des épisodes illustrés de la vie de cette héroïne
N.B. une note importante : le général de Gaulle est né en 1890, il appartient donc à cette génération qui prône bravoure et grandeur de la nation d’où certainement une certaine idée de la France.
A partir de 1904, un état de tension permanent reprend avec les crises marocaines (1904-1906 ; 1907-1908 et 1911) et les crises balkaniques dont la dernière sera fatale. Ces crises mettent face à face la France et L’Allemagne et bouleversent les systèmes d’alliance.
L’école doit alors préparer l’opinion à la guerre. A partir de ce moment, les exemples patriotiques sont constants pour tous : dictées, textes de lectures, problèmes d’arithmétique, leçons d’instruction civique ou de géographie, où est faite une place de choix à la défense du territoire par l’étude des zones fortifiées de l’Est de la France et même les ports fortifiés où résident des préfets maritimes. Pour les plus grands (cours moyen), on enseigne les forces de la Défense Nationale et les divisions militaires. Les poèmes de Déroulède redeviennent à la mode.
Oubliées les tentations pacifiques des années 1900, années où les enfants qui n’ont pas vécu la guerre de 1870 ont eu une toute autre perception ; les sentiments patriotiques furent mêlés d’humanisme, on recherchait l’harmonie.
Lavisse qui adaptait ses éditions rompait avec le patriotisme belliciste et fanfaron de la période précédente, déclarant que
« Le patriotisme se confond avec la raison des temps modernes »
(Celle des techniques et de la science ?: comme en témoignent les expositions universelles ou des formules comme celles de la Ligue de l’Enseignement de Jean Macé (pour la Patrie, par le livre et par l’épée) qui semblaient surannées et étaient supprimées.)
Mais il fallait être prêt à défendre sa Patrie dans le cas d’une guerre d’agression et le devoir patriotique même modifié restait la préoccupation de l’enseignement. Les français étaient en fait plus pacifiques que pacifistes. C’est le fameux si vis pacem, para bellum que l’on retrouve même dans L’armée nouvelle de Jaurès de 1911.
Dans le manuel du cours moyen de 1912 il y a quelques bruits de bottes : (guerres balkaniques ou crise marocaine); Lavisse écrit :
« La guerre n’est pas probable mais elle est possible. ».
C’est pour cela qu’il faut que la France reste armée et toujours prête à se défendre. Bref il est toujours le tenant d’une orthodoxie classique.
Ce sont les années des enfants du front et des enfants de l’arrière même si les termes sont à nuancer. Il s’agit des enfants des combattants de la France métropolitaine et non de ceux des 600 000 combattants des forces noires ou jaunes venues des colonies.
L’enfant du Front n’existe pas (à quelques exceptions près d’enfants qui s’engagent et feront figures de héros : comme Corentin Carré ou Emile Desprès pour les plus célèbres, mais aussi Désiré Bianco ; Adrien Marcel Dieudonné, François Marius Ratto, Adrien Thierry et Marceau Weber) ; selon l’historien Audoin-Rouzeau, ils seraient une centaine : 86 garçons + 15 filles + peut-être 5 issus des colonies; le massacre de Dinant en Belgique des 23, 24 et 25 Août 1914 a servi de détonateur, soit l’enfant a quitté avec sa famille cette zone exposée, soit il a rejoint des membres de sa famille ou des organisations dans des régions moins exposées comme celles du Massif Central. Le front est devenu un no man’s land vidé de sa population civile et détruit. |
Mais il y a un enfant proche du front : l’enfant des zones occupées qui, lui, voit le conflit. Le terme de zone occupée pour cette guerre est peu employé ; on parle surtout de la zone envahie, étudiée par Philippe Nivet, c’est essentiellement une zone minière, sidérurgique ou textile du Nord et de l’Est, considérée comme un réservoir de main d’oeuvre ou de ressources. Seules les Ardennes seront entièrement occupées, les autres départements partiellement dans le temps ou dans l’espace (Aisne, Oise, Somme, Nord, Pas de Calais, Vosges, Meurthe et Moselle, Marne et Meuse).
L’enfant de l’arrière est par exemple Jean Zay à Orléans, l’enfant de la zone occupée, les enfants Congar Marie Louise et son célèbre frère Yves.
Les écoliers sont directement concernés. Le Président Viviani dès le 7 Août 1914 fait appel à eux: |
A l’école on fait des exercices en rapport avec le vécu et les livres de la bibliothèque et le livre d’histoire le Petit Lavisse forgent des citoyens patriotes en étudiant les héros nationaux surtout ceux qui ont des vertus guerrières pour encourager la bravoure, les sens de la discipline, de la hiérarchie et le sacrifice.
Une fois la guerre déclarée, le ton change, la jeunesse doit s’identifier au soldat pour le garçon et à l’infirmière pour la fillette ; on a trouvé près de Landerneau, loin de la ligne de front 300 m de tranchées d’entraînement qui étaient devenues le terrain de jeux des enfants du village. L’ombre de la guerre planant partout, on la retrouve aussi dans l’enseignement primaire. Les enfants sont aussi mobilisés à leur façon.
« Si vous saviez, mes chers enfants combien on pense à vous dans nos tranchées...»
trouve-t-on écrit dans les courriers de leurs pères.
On les mobilise idéologiquement avec l’idée que la France défend une cause juste, celle de la civilisation contre la barbarie, qu’il faut réparer l’affront de 1870. On développe la haine xénophobe, les programmes s’adaptent ; leçons de travaux manuels pour les filles (couture ou tricot pour le soldat, charpie) gymnastique guerrière pour les garçons et héros magnifiés.
Louis Pergaud écrira à propos de La Guerre des boutons (postérieure au conflit): |
A cet égard le mémento de poche La dictée au Certificat d’Etudes, paru chez Hatier en 1918, de Gustave Fautro est significatif par les exercices qu’il propose autour de la compréhension du texte ou en rédaction; c’est une sorte d’annales de sujets des années précédentes, les sujets de rédactions sont éloquents : |
On fait étudier le très populaire Régiment de Sambre et Meuse, poème de Paul Cazeneuve de 1870 mis en musique en 1879 : l’air est facile, les accords simples, le rythme régulier et il enflamme (paraît-il) par ses paroles les jeunes esprits: | Un autre chant revient à la mode, celui de Gaston Willemer et d’Henri Nazet L’Alsace –Lorraine et son fameux refrain qui avait fait la gloire des revanchards dont celle de Thérèse Amiati (1851-1889) : |
« Le régiment de Sambre et Meuse Marchant toujours au cri de Liberté Cherchant la route glorieuse Qui l’a conduit à l’immortalité » |
« Vous n’aurez pas L’Alsace et la Lorraine Et malgré vous, nous resterons Français Vous avez pu germaniser la plaine Mais notre coeur vous ne l’aurez jamais » |
Certains enfants comme des adultes tiennent des cahiers de guerre au jour le jour, un des plus célèbres est celui d’Yves Congar, on y retrouve souvent l’influence de l’école, ne serait-ce que par l’organisation de cérémonies commémoratives comme celle du 14 juillet calquée sur celles auxquelles ils avaient participé.
Dans les campagnes L’union sacrée se marque par l’atténuation de la querelle sur la laïcité, alliance du sabre et du goupillon ! Dans nos campagnes auvergnates du diocèse de Clermont, le curé prend le relais de l’instituteur ou de l’administration pour les annonces officielles faites en chaire à la messe du dimanche : allocations, retard du paiement des loyers autorisé, etc. Dans les églises de notre diocèse, et souvent bien avant la mairie, on affiche les listes de ceux qui sont tombés au champ d’honneur, elles seront plus tard émaillées noir sur fond blanc surmontées du drapeau tricolore.
Même si à partir de 1916 une certaine lassitude due à la prolongation de la guerre se fait jour, Jean-Paul Sartre (né en 1905) écrit alors:
« La guerre m’ennuya vite, elle dérangeait si peu ma vie que je l’eusse oublié sans doute »,
ce qui n’est pas le cas pour tous et surtout dans les campagnes où l’enfant travaille beaucoup aux champs d’où un absentéisme scolaire important. Les leçons restent identiques et contre 10 bons points, on a toujours une image de guerre, et les petits écoliers montrent qu’ils font aussi leur devoir et qu’ils sont de bons petits Français s’ils réussissent bien à l’école !
Avec l’arrivée des Américains (les Sammies,; référence à l’oncle Sam) l’espoir reprend, surtout avec le recul des lignes allemandes notamment en Picardie. Au moment de l’armistice, tous les enfants disent se souvenir du bruit des cloches, c’est la joie et le délire avant de faire l’expérience cruelle du deuil, des ruines ou de la grippe espagnole, extension de la guerre sur des organismes fatigués. |
Dans les années 20, ces enfants qui deviendront des adultes sont marqués par les deuils. Un nouveau monument avec de nouvelles solennités républicaines trône sur la place du village : le Monument aux morts avec la célébration du 11 novembre.
Aux deuils, aux orphelins, pupilles de la Nation, s’ajoute la vision des mutilés. Marcelle Lerouge dans son journal d’une adolescente en guerre, en mars 1915, écrit :
« On rencontre à Paris et aussi à Bois-Colombes de nombreux blessés qui ont perdu un bras ou une jambe. C’est fort triste, pauvres soldats ».
Louise Weiss, le 6 octobre 1916, ne va pas au lycée, son père veut qu’elle assiste à l’arrivée d’un train de blessés :
« A la gare des Brotteaux, mon père recevait les rapatriés d’Allemagne, grands blessés sanitaires; il présidait et faisait un discours. A l’arrivée du train pavoisé, je sanglotais. »
« Sortir de la guerre, (comme l’écrit Manon Pignot dans son brillant ouvrage Allons enfants de la Patrie) c’était sortir de l’enfance ».
C’était comme pour les adultes être confronté à une terrible réalité. Ecole, cérémonies de commémoration, se veulent respectueuses du sacrifice des soldats, mais ne veulent plus jamais cela et font aux jeunes en 1925 une injonction mémorielle patriotique mais aussi pacifiste par une chanson (paroles de Léo Lelièvre, musique de Paul Dalbret) |
Ne jouez plus aux soldats Ne joue pas au soldat, mon cher petit bonhomme Les sabres et les fusils ne sont pas des jouets Il faut que les enfants dans leur jeunesse apprennent A chérir leur pays, à défendre leur honneur Mais ne leur inculquez pas des sentiments de haine La guerre et les combats devraient leur faire horreur ! Pour que ce drame affreux ne recommence pas Et pour que la bonté sur le monde renaisse Il ne faut plus jamais s’amuser au soldat. |
(Conférence proncée le 18 mai2018)