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« La légende balkanique de la femme emmurée, le mur, les mots, la mort. »

 

par Marie-Anne Péric, ancienne élève du lycée Blaise Pascal, professeure agrégée de lettres classiques, proviseure honoraire, spécialiste de la langue serbe et traductrice.

 

Certains parmi vous connaissent le thème de cette légende balkanique de la femme emmurée grâce à l'une des Nouvelles orientales1 de Marguerite Yourcenar, sous le titre : Le Lait de la Mort. Elle y adapte une ballade traitant du sacrifice de construction consistant à emmurer une jeune femme dans les fondations d'un édifice.


Il s'agit en effet d'une légende très populaire dans le nord de la Grèce et dans les Balkans, dont les versions nombreuses - on en a recensé plus de 7002 - existent en plusieurs langues. Les spécialistes ont tenté de les cataloguer, de les comparer, et ici même à Clermont, Véronique Gély-Ghedira, professeur à l'Université Blaise Pascal, a analysé les avatars les plus connus, leurs commentaires et leurs adaptations3. Mon propos n'est pas de faire ici œuvre d'érudition, mais de tenter de vous communiquer l'émotion que j'ai ressentie moi-même à la découverte de cette ballade. Vous pourrez à la fin de la causerie prendre ici le texte de trois parmi les versions en vers, la roumaine, la grecque et la serbe, intitulée La Construction de Skadar. C'est cette dernière que j'ai choisi de vous présenter, et dont je vous soumets ma traduction. Après en avoir recherché l'origine, nous tenterons d'en comprendre la signification.


1° - Le texte

La Construction de Skadar


Ils étaient trois frères qui bâtissaient une ville, les trois frères Mrnjavcevic : l’aîné, Vukasin le roi, le second, Ugljesa le duc, et le troisième, c’était Gojko. Ils bâtissaient la ville de Skadar, au bord de la Boiana. Depuis trois ans qu’ils bâtissaient avec trois cents maçons, ils ne pouvaient bâtir les fondations, et moins encore bâtir la ville. Car chaque nuit, une fée détruisait l’ouvrage de la journée des maçons.

A la quatrième année, la fée du haut de la montagne cria : « N’insiste pas, roi Vukasin et ne dilapide pas tes trésors. Tu ne pourras bâtir les fondations, et moins encore bâtir la ville, tant que tu n’auras pas trouvé Constance et Constant, le frère et la sœur avec leurs noms jumeaux, et qu'on ne les aura pas emmurés ensemble dans le pied de la tour. Alors les fondations cesseront d’être inconstantes, et tu pourras bâtir la ville. » Le roi Vukasin appelle son serviteur : « Decimir, mon cher enfant, toi qui m'as toujours fidèlement servi, toi qui m’es aussi cher qu’un fils, attelle les chevaux au chariot, prends dans mon trésor six mesures d’or, parcours le vaste monde et cherche Constance et Constant, le frère et la soeur. Enlève-les ou achète-les et conduis-les ici pour les emmurer ensemble dans le pied de la tour. Alors  les fondations cesseront d’être inconstantes, et on pourra bâtir la ville. » Decimir chercha pendant trois ans, mais il ne trouva pas Constance et Constant, il ne trouva pas le frère et la sœur avec leurs noms jumeaux . Il revint à Skadar au bord de la Boiana. « Voici ô mon roi chevaux et chariot, voici ô mon roi six mesures d’or. Je n’ai pas trouvé les deux noms jumeaux, je n'ai pas trouvé Constance et Constant. » Alors le roi appela Radé l'architecte, et Radé parla aux trois cents maçons.

Au bord de la Boiana, le roi bâtit, la fée détruit, la fée ne laisse pas bâtir les fondations, et moins encore bâtir la ville. La fée, du haut de la montagne, cria : « N’insiste pas, roi Vukasin et ne dilapide pas tes trésors. Vous êtes trois frères, et chacun de vous a une femme fidèle : celle des trois qui demain viendra apporter le repas des maçons, emmurez-la dans le pied de la tour. Alors les fondations cesseront d’être inconstantes, et on pourra bâtir la ville. » Le roi Vukasin appelle ses deux frères. « Ecoutez ce qu’a crié la fée du haut de la montagne. Chacun de nous a une femme fidèle. Celle qui des trois viendra demain apporter le repas aux maçons, emmurons-la dans le pied de la tour. Alors les fondations cesseront d’être inconstantes, et on pourra bâtir la ville. Frères, jurons devant Dieu qu’aucun de nous ne dira mot à son épouse, et que nous laisserons soin au hasard de désigner celle qui demain viendra ici. » Et ils jurèrent devant Dieu qu’aucun d’eux ne dirait mot.

Ecoutez si ce n’est pas merveille ! Tout le premier trahissant son serment, le roi Vukasin dit à son épouse : « Garde-toi bien, femme fidèle, de venir demain au bord de la Boiana, car on t’emmurerait dans le pied de la tour. » Ugljesa dit à son épouse : « Garde-toi bien, femme fidèle, de venir demain au bord de la Boiana, car tu le paierais de ta vie. » Mais le jeune Gojko, respectant son serment, ne souffla mot.

Le lendemain paraît l’aurore, les trois frères se hâtent au chantier. Voici l’heure de porter aux maçons leur repas. C’est le tour de l’épouse du roi. Elle va trouver sa belle-soeur, la femme d’Ugljesa : « Soeur chérie, écoute, j’ai un grand mal de tête, que Dieu t’en préserve, et ne puis souffrir davantage. Porte à ma place le repas des maçons. » La femme d’Ugljesa répond : « Soeur chérie, femme du roi, j’ai un grand mal au bras, que Dieu t’en préserve, et ne puis souffrir davantage. Va demander à notre jeune belle-soeur. » L’épouse du roi se rend chez sa jeune belle-soeur : « Petite soeur, épouse de Goiko, j’ai un grand mal de tête, et ne puis souffrir davantage. Porte à ma place le repas des maçons. » La femme de Goiko lui répond : «  Soeur chérie, femme du roi, je t’entends. C’est avec plaisir que je le ferais, mais je n’ai pas encore baigné mon tout petit, et je n’ai pas lavé ses draps blancs. » L’épouse du roi lui dit alors : « Va donc, je laverai pour toi les draps du petit, et notre soeur lui donnera son bain. » La jeune épouse de Goiko n’a plus qu’à porter le repas aux maçons.

Quand elle arrive au bord de la Boiana, Goiko la voit, son coeur vaillant s’afflige. Il pleure sur sa tendre épouse, il pleure sur son fils au berceau : l’enfant a tout juste un mois. Les larmes coulent sur son visage. La frêle jeune femme le regarde. A petits pas, elle avance vers lui, à petit pas, et à voix basse dit : « Seigneur, pourquoi les larmes coulent-elles sur ton visage ? - Malheur, ma tendre amie, lui répond Goiko, j’avais une pomme d’or, et voilà qu’elle vient de tomber dans la Boiana. Je m’en afflige et ne pourrai m’en consoler. » La jeune femme ne comprend pas. « Cher Seigneur, dit-elle, tu sauras bien en trouver une autre, meilleure et plus belle. » Ces mots l’affligent davantage, il détourne la tête, il ne peut plus regarder sa tendre épouse.

Et voici ses deux beaux-frères. Par ses blanches mains ils la prennent, ils la conduisent sur le chantier de la ville. Ils appellent Radé, l’architecte, et à son tour Radé fait venir les trois cents maçons. Elle sourit, la frêle jeune femme, elle croit à une plaisanterie. Ils la poussent dans le mur en construction, et les trois cents maçons entassent le bois et la pierre, et ils l’emmurent des pieds jusqu’aux genoux. Elle sourit encore, elle espère encore une plaisanterie. Et les trois cents maçons entassent le bois et la pierre, et ils l’emmurent jusqu'à la taille. Mais ils sont lourds, le bois et la pierre, et la malheureuse a compris son sort. Elle crie comme un oiseau blessé, et appelle ses beaux-frères bien-aimés : « Frères, au nom du ciel, ne me laissez pas emmurer en ma verte jeunesse ! » Mais c’est en vain, car ils ne la regardent pas. Alors de toutes ses forces, sans honte de crier, elle appelle son époux : « Seigneur, mon bon seigneur, ne me laisse pas emmurer en ma verte jeunesse. Envoie chez ma vieille mère, qui a de grands trésors, chercher de quoi acheter un serf, ou une serve, pour l’emmurer ici dans le pied de la tour ! » Elle le supplie, mais en vain.

Quand elle comprend que sa prière est vaine, elle supplie Radé, l'architecte : « Radé, toi mon frère devant Dieu, laisse une fenêtre pour ma poitrine, laisse libres mes deux seins blancs. Quand il viendra, mon petit Jeannot, quand il viendra, il tétera. » Et Radé, comme un frère, exauça son désir, il ménagea une fenêtre pour ses seins, et les laissa libres. Quand il viendra, le petit Jeannot, quand il viendra, il tétera. La malheureuse appelle encore Radé. « Radé, toi mon frère devant Dieu, laisse une fenêtre pour mes yeux. Quand, de ma blanche demeure, on m’apportera petit Jeannot, je pourrai le voir, et je pourrai le voir quand on le remportera. » Et Radé comme un frère exauça son désir et laissa les yeux libres. Quand il viendra, le petit Jeannot, quand il viendra de sa blanche demeure, elle le verra, et le verra repartir quand on le remportera.

Et c’est ainsi qu’on l’emmura. On apporta dans son berceau son tout petit, et durant une semaine, elle l’allaita. Puis sa voix se perdit, mais son lait pour l’enfant coulait toujours, et toute une année il coula.

Telle fut la tour, et telle elle demeura. Et aujourd'hui encore, le lait coule de ses murs, remède miraculeux pour celles qui ne peuvent allaiter.

 


2° L'origine de la légende


Cette version serbe, la plus anciennement connue, la plus poignante, a été recueillie et publiée à Vienne par le grand écrivain et linguiste serbe Vuk Karadzic en 1814. Celui-ci était ami de Grimm, qui avait appris le serbe, et qui traduisit la légende en allemand. Il la communiqua à Goethe. Celui-ci la trouva d'abord cruelle et sans intérêt4, mais il la publia néanmoins et elle fut ainsi popularisée dans toute l'Europe5.


Shkodër ou Shkodra, en français Scutari, (en italien: Scutari, ou sous sa dénomination illyrienne: Scodra)

Cependant, chaque spécialiste du folklore des Balkans revendique l'origine de la légende. A l'appui de l'affirmation, ils citent le nom du monument, en général toujours existant, où l'épisode est censé s'être déroulé. Les Serbes le situent à Skadar, ou Skutari, ancienne place-forte aujourd'hui en terre albanaise mais faisant autrefois partie du royaume, puis du despotat de Serbie, mais les Albanais avec Zihni Sako, spécialiste du folklore national, considèrent la légende comme fondamentalement albanaise. Les Grecs avec Georgios Megas la situent à Arta, où la femme est emmurée dans une des arches du pont, et où ses cheveux flotteraient dans les remous. Les Hongrois attribuent à Komuves Kelemen (Clément le maçon) la construction de la forteresse de Deva, au XVIème siècle - et cela nous permet de dater approximativement la naissance de la légende dans cette partie des Balkans. Les Roumains la situent à Curtea de Arges, où se trouve un magnifique monastère byzantin datant également des premières années du XVIème siècle. Des auteurs roumains comme Caracostea6 mais surtout Mircea Eliade, n'hésitent pas à écrire que la légende est proprement roumaine, sans pour autant étayer nulle part leur assertion7. Les Bulgares la situent à Smolyan, où se trouve l'un de ces magnifiques ponts byzantins comme le célèbre pont de Mostar, détruit durant la dernière guerre en ex Yougoslavie, et connu en Europe de l'Ouest. De fort nombreuses études ont paru sur le sujet, mais il a fallu attendre 1996 pour qu'un travail de recherche mené parallèlement par deux chercheurs américains8 9éclaire l'origine indienne de la légende, et son importation en Europe par les Rroms, les Tziganes, au cours de leur long cheminement vers l'Ouest. La source indienne de la légende n'est du reste pas elle-même originale : l'Indonésie et la Chine ont pratiqué au cours de leur histoire des sacrifices de construction10. Au IVème siècle de notre ère, lhitobashira (« Pilier humain »), anciennement pratiqué au Japon, est un sacrifice humain de personnes enterrées vivantes sous ou près de bâtiments de grande envergure comme des barrages, des ponts et des châteaux, en guise de prière aux kamis11 afin que le bâtiment ne soit pas détruit par des catastrophes naturelles telles que des inondations ou par des attaques ennemies. On notera donc le parallélisme avec la légende indienne importée par les Rroms.

forteresse de Deva

 

pont de Smolyan


Le Rroms sont originaires du nord de l'Inde, où ils étaient persécutés comme « hors caste », ils étaient les ancêtres des Rroms d'aujourd'hui. Travailleurs épisodiques mais relativement expérimentés, ils étaient connus pour intervenir comme maçons sur des ouvrages de quelque importance12, où l’usage de pierres appareillées, et donc d'une main d'oeuvre nombreuse était indispensable. Les constructions privées, en matériaux plus légers, bois ou briques, ne nécessitaient pas un gros apport de main d'œuvre. Mais le recours aux Rroms était recherché lorsqu’il fallait élever un ouvrage d’art délicat, comme un pont sur une large rivière, un monastère, ou les fortifications d’une ville. Les Rroms étaient également vanniers (et le sont encore souvent aujourd'hui), musiciens ambulants, maquignons13. De chantier en chantier, de ville en ville, ils ont raconté ou chanté cette histoire, dont les bardes locaux - et il en existe encore 14 - , si voisins des rhapsodes homériques, ont laissé des versions en vers.


La légende indienne originelle comporte elle aussi de nombreuses versions, connues depuis 1909 grâce à la compilation réalisée par Cecil Henry Bompas dans son ouvrage Folklore of the Santal Parganas.15 Il s'agit non plus de la construction d'un mur ou d'un pilier, mais du creusement d'un puits. Comme il s'effondre sans arrêt, les ouvriers demandent à un Yogi16 comment réussir leur entreprise. Le Yogi répond que la femme de l'un d'entre eux doit être ensevelie dans le puits, et qu'alors l'eau jaillira. Ainsi est-il fait, on demande à la jeune femme choisie, en général celle qui apporte le repas aux travailleurs, d'aller rechercher au fond du puits un anneau, et lorsqu'elle est au fond, les parois s'effondrent, puis l'eau monte et elle est à la fois ensevelie et noyée.


un pont sur la Drina
   

Mais cette légende n'est restée vivante dans les différents folklores que lorsqu'elle a revêtu une forme artistique achevée. Les versions les plus littéraires sont les plus réussies, et pour cela, les apports extérieurs au substrat initial ont été nécessaires. « Le peuple invente facilement des histoires et il les propage à une grande vitesse, mais la réalité s'immisce et se mêle étrangement et sans partage à l'histoire »17. Par exemple, dans la légende serbe, dit Ivo Andric dans son roman célèbre Un Pont sur la Drina, un fait divers redonne force à la légende. Une jeune femme accouche de deux jumeaux morts-nés. Devenue folle, elle cherche partout ses bébés. On lui fait comprendre enfin « que les deux enfants avaient été emmenés à la ville, là où les Turcs construisaient un pont. »18 Elle erre dans le chantier du pont, les seins gonflés de lait, et Andric conclut : « Elle fut à l'origine de la légende des enfants emmurés par les Turcs dans le pont. Certains y croyaient, d'autres pas, mais tous la répétaient et la propageaient. »19 Mais les éléments narratifs ne suffisent pas : c'est seulement le travail poétique qui peut donner vie et vraisemblance à la trame rudimentaire du récit originel. L'épisode le plus poignant, la prière finale de la jeune mère, ne figure pas dans la ballade indienne, et pas encore dans la ballade grecque, qui est vraisemblablement plus ancienne.

 

La genèse du texte serbe est donc complexe. Le substrat indien apporté par les maçons Rroms s'est enrichi selon Andric du thème des jumeaux et de celui du lait maternel, et les joueurs itinérants de guzla, bardes à la manière homérique tels qu'ils sont mis en scène par Ismaïl Kadaré20 à ce propos, l'ont popularisé grâce au travail poétique. Toute la première partie du texte est en effet parsemée de refrains mnémotechniques comme ceux qui sont familiers aux lecteurs d'Homère, et qui servaient au récitant à rassembler ses souvenirs sans interrompre son chant. Aujourd'hui, la ballade fait partie des textes que récitent les enfants à l'école en Serbie, comme chez nous La Cigale et la Fourmi. Mais l'attrait durable de ce texte tient probablement surtout à sa signification, à l'émotion que le poète anonyme suscite chez ses auditeurs, et aujourd'hui chez ses lecteurs. C’est donc plutôt son sens symbolique et imaginaire qu’il convient d’étudier, de même que l’on étudie, dans le mythe d’Oedipe, un parricide et un inceste symboliques à travers un récit qui les décrit comme réels. Adler ou Jung auraient en ce sens parlé de psychologie des profondeurs. La légende n’en conserve pas moins toute sa puissance d’émotion : la jeune mère qui, condamnée au supplice et à la mort, pense seulement à transmettre au-delà d’elle-même son lait et sa vie à son tout petit enfant, rejoint les grandes héroïnes de la tragédie antique, Iphigénie sacrifiée pour que le vent souffle, ou Antigone, elle aussi emmurée pour avoir préféré la loi des dieux à la loi de Créon. C’est donc dans l’univers mythologique archaïque de l’antiquité que plongent les racines de la légende.


3° - Essai d'interprétation, intertextualités.


Le thème de la mère nourricière emmurée et du lait miraculeux rappelle en effet la légende de la fondation de Rome. Il était une fois deux frères, Numitor l’aîné, et Amulius le cadet. Numitor était roi, et avait une fille nommée Rhéa Silvia. Amulius n’était rien. Il était donc jaloux. Or un jour, Amulius réussit à chasser du trône son frère, et pour éviter qu’il ait une descendance, il fait enfermer Rhéa Silvia chez les Vestales, qui font voeu de chasteté pour trente ans. Mais Rhéa Silvia, peu avant, avait rencontré le beau dieu Mars, et neuf mois après elle accouche de deux jumeaux. Les vestales ayant failli à leur serment, disent les livres sacrés, doivent être emmurées vivantes. Amulius fait donc emmurer sa nièce, et jeter les deux bébés dans le Tibre en crue. Mais le Tibre décroît, et la corbeille où sont couchés les petits s’accroche aux racines d’un figuier de la rive. Plus tard, ce figuier sera dit Ruminal, parce qu'en étrusque ruma signifie mamelle. Il s’agit bien sûr d’un figuier symbolique : la légende montre par là qu’ils ont été nourris par un lait miraculeux, comme le lait de la tour serbe, non humain, symbolisé par le lait qui perle des feuilles de figuier. Puis la légende se développe bien vite : les jumeaux sont recueillis par une prostituée, Acca Larentia, qui, ayant perdu son enfant, allaite les deux garçons trouvés. Prostituée, en latin vulgaire, se dit lupa, - c’est pourquoi on désigne leur habitation par le terme lupanar - mais lupa signifie d’abord louve. Rapidement, le mot est devenu le symbole, et sur le Capitole, l’allaitement miraculeux est immortalisé par une statue, non pas celle d’une femme à l’enfant, comme dans la mythologie chrétienne, où l'allaitement de la Vierge à l'Enfant a fourni l'inspiration à tant d'artistes, (et a même été à l'origine de l'extraordinaire vogue médiévale de la Grotte du lait21 de Bethléem, où le lait sort de la pierre, comme dans le texte serbe) , mais celle d’une louve de bronze aux mamelles gonflées, qui montre les dents, cette louve désormais symbole de la ville éternelle.


Comme la légende romaine, la légende serbe parle de jumeaux, Rémus et Romulus d’une part, Constance et Constant d’autre part. La racine st- de Constance et Constant indique la stabilité. C’est celle des verbes installer, instaurer, constituer. Pour que la ville tienne debout, et que sa première tour ne s’écroule pas, la fée demande qu’on lui incorpore deux êtres vivants qui par leur nom, incarnent l’idée de stabilité. En emmurant les corps, on veut emmurer aussi la constance, la stabilité évoquées par les noms. Il semble que l’on atteigne ici l’archétype du symbole : c’est le mot qui devient puissant.


Cette puissance des mots mérite un examen. La fée, dit le poète serbe anonyme, est une voix criant du haut de la montagne. Or, de même que la racine du mot serbe vila, la fée, se retrouve dans le verbe veliti, qui signifie dire, de même le mot français fée, du bas-latin fata, dérive d’un vieux verbe latin, for - fari, qui signifie également dire, et dont le participe passé neutre est fatum, « ce qui a été dit » et par extension le destin. Il y a donc un parfait parallélisme entre les étymologies dans les deux langues22. Dans les deux cas, l’étymologie nous fait comprendre que le mot possède une puissance mystérieuse, un pouvoir sur les choses, que dire suffit pour faire. Que le mot soit magique, puissant, nous le voyons en outre dans des expressions comme « sois maudit », mau- , mal et -dit. Ainsi Constance et Constant, s’ils avaient existé, auraient stabilisé le mur inconstant par la magie symbolique de leur nom. Le yogi de la légende indienne, lui aussi, déclenche par sa réponse une sorte de « magie vocale 23». On comprend ainsi que cette fée est en réalité une voix intérieure, qu'elle est l'intuition de celui qui croit l'entendre, et l'on pourrait penser à tous ces textes où le héros « entend » parler un être surnaturel, comme l'enfant du Roi des Aulnes de Goethe, ou le chevalier de la Belle Dame sans Merci de Keats, ou encore la fée qui parle par la bouche même de G. de Nerval dans El Desdichado24.


Cette intuition est l'un des outils du bâtisseur animiste : on pense à la difficulté de construire des édifices durables avec les moyens rudimentaires qui existaient à l'époque. On pense aussi à la fréquence des tremblements de terre que ces peuples encore primitifs attribuent forcément à une nature méchante, qu'il faut apaiser en lui donnant une vie humaine : pour que la nature blessée par le puits donne son eau, pour que blessée par le creusement des fondations elle concède la stabilité, on l'apaise par un don identique, celui d'une femme allaitante, féconde, ou, comme dans la légende roumaine, enceinte. (Cet état d'esprit animiste est celui des enfants : le tout jeune enfant se cogne à la chaise et se fait mal, il pleure et dit que la chaise est méchante.) Or, comme l’écrivait en effet Cavanna, « faire solide, c’est la hantise du maçon ». Visiblement, l’art des trois cents maçons de Skadar ne suffit pas. Il faut un art supérieur, un acte magique, qui reliera le monde des hommes et la nature méchante. Cet acte magique est un acte par essence religieux (religare en latin signifie relier), ici un sacrifice.


Revenons à Rome. La légende dit que le vieux pont Sublicius a été établi par un spécialiste, le faiseur de ponts, le ponti-fex. On reconnaît l’origine du mot français pontife. Bâtir est donc à l’origine un acte religieux. Le pontifex est un intermédiaire entre les dieux et les hommes. Son rôle s’étend rapidement à toute construction ordonnée par la cité. Il devient ainsi le chef d’une confrérie de devins, augures ou haruspices, qui étudient le vol des oiseaux, les entrailles des animaux sacrifiés. Il intervient pour déterminer ce qui est faste ou néfaste25 et il est sollicité pour déterminer la position d’un monument à construire26. A Rome, comme dans tant de villes, il y a un axe Nord-Sud, le cardo, la Voie Sacrée, un axe est ouest, le decumanus, la Côte du Capitole. Or leur point d’intersection, ce qu'on appelait le mundus - une représentation du ciel inversé, ou l'umbilicus Romae27, le nombril de Rome, est accolé au « tombeau de Romulus ». Il est bien certain qu’il s’agit d’un tombeau mythique. Mais ce qui importe, c’est que les anciens Romains étaient persuadés que les ossements de leur père fondateur reposaient bien là, au cœur de la ville, et que par ce tombeau passait l’axe vertical du monde. Pour sanctifier l’endroit, ils ont enchâssé au-dessus une stèle gravée28 et une pierre noire, lapis niger, que l’on peut encore voir aujourd’hui, et sous laquelle on a retrouvé, entre autres objets plus symboliques du pouvoir royal, l'habituelle urne-cabane qui servait de reliquaire aux ossements à l'époque étrusque. Le corps de Romulus, dont une de ses légendes dit qu'il est mort foudroyé, ou ses restes, assure ainsi la stabilité de la ville. Par la pierre noire, par les restes sacrés du père fondateur passaient, pour les anciens Romains, les trois axes, Nord-Sud, Est-Ouest, Zénith-Nadir. Le monde stabilisé devient un monde ordonné, la ville a désormais une âme parce qu'elle a un sens.


Cet état d’esprit consistant à bâtir sur des ossements ne nous est pas si lointain ni si étranger. Dans son très célèbre roman, Cent ans de solitude, Garcia Marquez évoque une jeune fille qui erre à la recherche d’une terre où s’installer, portant dans un sac, sur ses épaules, les os cliquetants des squelettes défaits de ses parents. Elle ne pourra se fixer, se stabiliser, que lorsqu’incorporés à une terre, ces ossements lui donneront un sens. Giono, dans son roman très célèbre aussi, Regain, raconte l’histoire d’un village qui meurt, Aubignane, près de Banon. Tous sont partis, ou morts. Les deux derniers habitants, Panturle et la Mamèche, restent seuls. La Mamèche est une vieille italienne dont le mari, puisatier, est mort dans le village en y creusant un puits qui l’a enseveli. Elle refuse de considérer ce sacrifice comme vain. C’est pourquoi elle usera ses dernières forces pour envoyer une femme vers Panturle, et le village renaîtra. La Mamèche, comme Vukasin, a une intuition, une voix intérieure, une « fée ». Elle croit sentir que l’âme de son mari, enfermée dans ce puits, donne au village sons sens, sa verticale vivante.


Car dans la plupart des civilisations premières, l’âme est indissociable des restes mortels. Ceci explique pourquoi certaines civilisations préfèrent la crémation à l’inhumation, ayant ainsi l’impression de libérer l’âme du défunt. Si le corps de la frêle jeune femme de Goïko, sacrifiée par le sort, possède une force miraculeuse, si sur elle peuvent reposer la tour et la ville, c’est que son âme demeure vivante dans le mur. Nos ancêtres grecs savaient bien que les jeunes femmes étaient solides, eux qui ont créé les figures des cariatides, jeunes filles de pierre servant de colonnes à l’Erechteion, le temple voisin du Parthénon sur l’Acropole d’Athènes. En grec, parthénos signifie jeune fille. De même que les mots sont puissants, l’âme est forte. Ce n’est donc pas le cadavre de la jeune femme de Goïko qui porte le mur, c’est son âme, et celle-ci, immortelle, continue à habiter les restes du corps, debout, tout droit au cœur des pierres, comme un cœur dans les pierres, héroïque et digne de durer, donnant au mur une verticale éternelle, une éternelle stabilité, puisque l’âme est éternelle. Pour assurer cette pérennité il fallait qu’elle fût l’image de la droiture. Les deux autres belles soeurs, celles qui ont menti, sont fausses, et ce n’est pas sur leur mensonge que peut s’installer, pour durer, une cité.


Dès lors qu’elle y est emmurée, la tour et la ville deviennent animées, vivantes, sacrées. L’acte de bâtir cesse d’être un acte mécaniste pour devenir religieux. La jeune femme est au bâtiment en construction ce que la pierre noire était à la ville de Rome, son axe zénith - nadir, son aplomb, sa stabilité, sa constance, la garantie de sa durée. Rien ne peut durer sans avoir une âme. Plus héroïque sera cette âme, plus solide sera l’œuvre matérielle. Au-delà du processus magique, du sort jeté par des mots puissants, de la force donnée par l’âme au mur, nous retrouvons cette volonté animiste que l’on dit primitive, mais qui continue pourtant à habiter tous les hommes, qu’il existe une énergie spirituelle.


Conclusion


Nous sommes aujourd'hui, comme Goethe, épouvantés par la cruauté du sacrifice humain, parce que notre civilisation n'a plus rien de commun avec l'animisme qui a présidé à ces pratiques que nous qualifions aussi de barbares ou de monstrueuses. Le regard dépassionné des spécialistes du folklore n'est pas forcément celui des profanes que nous sommes. Nous avons besoin, pour supporter l'excès d'émotion, de la médiation du poète. C'est ainsi que se forgent toutes les belles légendes. A l'origine, il y a un fait douloureux, épouvantable. On voudrait pouvoir l'oublier, mais on sait que cela est impossible. Pour que son souvenir devienne supportable, on va donc le transformer, y ajouter le merveilleux, (ici le lait miraculeux). Mais cela ne suffira pas encore. Pour qu'il dure chez le plus grand nombre, il faut le couler dans une forme solide. Alors il pourra voyager dans les mémoires, on pourra le réciter, on le transmettra facilement, on se laissera bercer par le rythme des vers et la douleur deviendra plus supportable. C'est ainsi que sont nées l'Iliade ou la Chanson de Roland. Une historienne des traditions populaires, Eloïse Mozzani a publié en 2015 Légendes et mystères des régions de France 29. "Les pays modernes, dit-elle 30, souffrent de ne pas avoir de légendes... De nos jours, les légendes disparaissent car tout a une explication logique ou scientifique". S'ils viennent à vraiment disparaître, légendes et poètes ne seront pas remplacés par le cours du CAC40 ou par le palmarès du magazine Forbes'. Notre civilisation n'est peut-être pas loin de sa fin.

 


1Marguerite Yourcenar, Nouvelle Orientales, ISBN : 2070299732  - Éditeur : Gallimard (25/10/1978)

2Alan Dundes, The Walled-Up Wife, Madison, The University of Wisconsin Press, 1996 - p. 187 : « When one adds the numerous Hungarian, Romanian, Serbian, and Albanian versions to the Greek and Bulgarian texts, we are dealing with a ballad for which we have more than seven hundred texts available. »

3Véronique Gély-Ghedira, Le Lait de la Mort : la ballade de l’emmurée et sa fortune littéraire (Fauriel, Todorov, Sylva, Kazantzakis, Blaga, Eliade, Yourcenar, Andric, Kadaré). PU. Blaise Pascal, 1999.

4Goethe : « Dans les poésies les plus anciennes se trahissent des idées barbares et superstitieuses ; on voit des sacrifices humains de l’espèce la plus horrible. Une jeune femme est ensevelie vivante, pour que la forteresse de Scutari puisse se bâtir ; ce fait parait d’autant plus sauvage que dans tout l’Orient nous ne voyons jamais mettre dans les édifices, pour assurer leur durée et leur résistance à tous les ennemis, que des images consacrées, talismans que l’on dépose dans des endroits secrets. » - Les chants serbes, in Conversations de Goethe pendant les dernières années de sa vie recueillies par Eckermann traduites par Emile Delerot - Paris - Charpentier, Libraire-Editeur 28 quai de l'Ecole - 1865, p. 38. Malgré l'avis de Goethe, plusieurs auteurs contemporains se sont inspirés de cette légende : Kazantzakis en a tiré une pièce de théâtre, O Protomastoras (le maître maçon), sur l’argument de laquelle un compositeur grec, Kalomiris, a écrit un opéra de même titre, créé en 1943 par Maria Callas dans le rôle de la jeune femme. Plus récemment, comme indiqué ci-dessus, Marguerite Yourcenar a arrangé l’histoire pour en faire l’une de ses Nouvelles orientales, Le lait de la mort. Ivo Andric, écrivain yougoslave, prix Nobel de Littérature, évoque le même sacrifice de construction dans son roman  Le pont sur la Drina (Na Drini Cuprija) Ed. Française Folio.

5Le succès de ces poésies serbes dans l'Europe cultivée est incontestable : Mérimée publie en 1827 un recueil de fausses ballades intitulé La Guzla (la guzla est une sorte de violon à une corde dont les bardes balkaniques s'accompagnent). Un remarquable linguiste français, Claude Fauriel, traduit plusieurs ballades grecques et serbes, et se voit offrir le premier poste d'enseignement des langues slaves à la Sorbonne en 1830.

6Caracostea, Material sudesteuropean si forma romaneasca - Mesterul Manole, in Revista fundatilor regale p. 619 sq. Narodna Biblioteka Beograd.

7Mircea Eliade, Comentarii la legenda Mesterului Manole, Humanitas, Bucureşti, 28 februarie 1907. Publication en français, La légende de Maître Manuel, L'Herne, Coll. Méandres, réédition janvier 1994

8 Alan Dundes, The Walled-Up Wife, Madison, The University of Wisconsin Press, 1996, 210 p.,

9 Kirin Narayan, Mondays on the Dark Night of the Moon : Himalayan Foothill Folktales p. 109

10Richard A. Drake : Construction sacrifice and kidnapping rumor panics in Borneo. Oceania 59 n° 4 - 1989

11Un  kami (en japonais ?) est une divinité ou un esprit vénéré dans la religion shintoïste. Il correspond presque exactement aux Mânes dans la religion romaine.

12Alan Dundes, op. Cit. p. 191 : « The masons of southeastern Europe are, it should be noticed, largely Gypsies. »

13Les bouchers, les équarrisseurs, les tanneurs, les bûcherons, les fossoyeurs, les éboueurs, les chiffonniers, les ferronniers et les saltimbanques exerçaient des métiers nécessaires à la communauté, mais, considérés comme religieusement « impurs » : ils n'avaient pas le droit d'être sédentaires et étaient hors-caste (çandales)A leur arrivée dans l'Empire byzantin, ils se définirent eux-mêmes comme « intouchables » mot qui fut traduit en grec par Atsinganos (Ατσίγγανος, qui a donné Tsigane, Zigeuner, Zingari, Ciganos, etc.). Voir aussi Miodrag Stojanović, L'oeuvre de Vuk Karadzić dans la littérature et la culture grecques du XXème siècle, Revue Balkanika XVIII - XIX, Belgrade 1987-88 : « Les maçons sont appelés tzintzares ».

14La tradition consistant à insérer un fait réel dans un récit légendaire est si vivace que l'on trouve une « narodna pesma », une légende populaire mise en vers et chantée, à la gloire de … Radovan Karadzic. Le CD est en vente sur le site d'Amazon, avec l'entrée « Guzlar ».

15Kuwar and the Rajah's daughter, P. 69 sq. , London, David Nutt, 1909.

16Les pratiques yogiques existaient originellement chez les Dravidiens. Pour les rituels de l'époque, " Prononcer la formule, consiste plus à déclencher une sorte de magie vocale, plutôt qu’à énoncer une forme de vérité absolue ". Renou, L'Inde classique, T.1 p. 279.

17 Andric, op. cit. Ed. Folio p. 34

18 Andric, op. cit. p. 35

19Andric, op. cit. p. 35

20Ismaïl Kadaré, Le dossier H, Le livre de poche Jusuf Vrioni (Traducteur) ISBN : 2253150991 - (12/09/2001). Voir aussi note 10.

21La Grotte du Lait, en latin Crypta lactea ou Cyptea lactationis, en arabe Meharet-es SittiMagharât-as-Saiyidah (Grotte de Notre-Dame), appelée aussi « Grotte de la Vierge » ou encore jadis « église Saint-Nicolas » du nom de la chapelle au-dessus anciennement un monastère tenu par des Orthodoxes grecs se trouve hors de la ville de Bethléem, non loin de l'église de la Nativité en Palestine. Mark Twain évoque cette grotte dans Innocents Abroad : « We went to the Milk Grotto, of course--a cavern where Mary hid herself for a while before the flight into Egypt. Its walls were black before she entered, but in suckling the Child, a drop of her milk fell upon the floor and instantly changed the darkness of the walls to its own snowy hue. We took many little fragments of stone from here, because it is well known in all the East that a barren woman hath need only to touch her lips to one of these and her failing will depart from her. We took many specimens, to the end that we might confer happiness upon certain households that we wot of. » (Chapitre LV).

22Il s'agit de la même racine indo-européenne.*Bh?-, « mettre en évidence par la parole ». On la trouve sous la forme fa- dans les langues latines, ba- et ban- dans les langues germaniques, vel- ou vil- dans les langues slaves, φη- φα- en grec.

23Cf. note 12.

24« Modulant tour à tour sur la lyre d'Orphée - Les soupirs de la sainte et les cris de la fée » - G. de Nerval, El Desdichado (Les Chimères).

25Cf. note 17

26Voir Jacqueline Champeaux, Ponts-passages, religion à Rome,  261-276, dans Les ponts au Moyen Âge, Presses de l'Université Paris-Sorbonne, Paris, 2006 (ISBN 978-2-84050-373-6).

27Michel Humm : Le mundus et le Comitium : représentations symboliques de l'espace de la cité dans Histoire urbaine 2004/2 (n° 10), pages 43 à 61

28Cette stèle, datée du VIIème siècle av. J.C., est gravée en « boustrophédon » et ne comporte que peu de mots lisibles. Les spécialistes (Pierre Grimal, Georges Dumézil en France, Filippo Coarelli en Italie) sont partagés sur la signification des fragments de texte.

29Editions Robert Laffont

30Eloïse Mozzani, Entretien avec Clara Maugein, dans l'Express du 18/04/2015

(Conférence prononcée le 21 mai 2019)

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