RCHIVES
Petits dessins et hieroglyphes
Le dessin au sens large
englobe les peintures et les bas-reliefs. Dans ce cadre, l’art égyptien de la représentation
donne la primauté au contour et à la ligne (a), les couleurs et les bas-reliefs
se contentant d’animer, le plus souvent avec bonheur, les surfaces ainsi
délimitées. Lorsque, avec les injures du temps ou les dégâts causés par les
hommes, les couleurs et les bas-reliefs ont disparu, il n’est pas rare que
subsistent assez de traces du contour originel pour permettre la reconstitution
de la figuration.
Quant
aux petits dessins, ils peuvent être mêlés à des scènes couvrant les parois des
temples ou des tombes, orner les papyrus
ou être plus modestement de simples essais jetés sur des supports peu
nobles comme les ostraca. Au premier rang des petits dessins, les
hiéroglyphes représentent le monde réel et ses catégories.
Les hiéroglyphes
Les 743 hiéroglyphes de l’époque classique se répartissent comme suit :
êtres humains, divinités, parties de corps | 143 |
animaux, parties d'animaux | 176 |
vé,gétaux | 44 |
ciel, terre, eau | 42 |
constructions | 51 |
objets | 243 |
signes géométriques, abtraits,indéterminés | 42 |
Pour résumer, sur 743 hiéroglyphes ( dont 407 tirés de la nature ), 42 seulement
sont abstraits ! Autant dire qu’apprendre à écrire consistait, en premier
lieu, à apprendre à dessiner. Inversement, le bon dessinateur avait quelques
aptitudes à l’écriture.
Les Egyptiens eux-même ne distinguaient pas ces deux
activités, désignées par un seul mot qui, selon le contexte, peut être traduit
par écrire ou par dessiner. Le dessinateur était alors un « scribe de
contours » et un remplisseur de formes lorsqu’il utilisait la couleur.
Comme le mot « art » n’existait pas, l’activité de dessinateur
appartenait au monde du bien et du bon plus qu’à celui du beau, et ce que
nous considérons comme art était affaire d’habileté, d’intelligence, de
conformité et de vérité. C’est vraisemblablement pourquoi l’antique
civilisation ne nous a pas livré d’écrits sur le dessin ou la sculpture.
Comment fonctionne cette écriture
faite de petites représentations qui se lisent ?
Le rébus est
à l’origine du système hiéroglyphique. A titre d’exemple imaginaire et
fantaisiste, deux petites jambes peuvent former un PAS, et trois graines
évoquer le RIZ ; l’association des deux représentations se lit PARI. Mais,
de quoi s’agit il ? De la ville ou de l’engagement passé entre deux
personnes ? Pour déterminer le sens du mot, il convient d’ajouter un
troisième hiéroglyphe, dépourvu de valeur phonétique, figurant soit la ville en
général soit un rouleau de papyrus, symbole de tout ce qui ne peut pas être
représenté. Le signe « déterminatif » permet de ranger clairement le
mot dans une des deux catégories. Bref, en lisant on voit aussi de quoi il
s’agit.
Cette écriture égyptienne, principalement utilisée à
couvrir les parois des temples, des tombes et des stèles de textes religieux et
biographiques, est en fait un peu plus compliquée mais guère plus : les
hiéroglyphes valent pour des consonnes ou des associations de deux ou trois
consonnes et, chaque hiéroglyphe reçoit à l’époque classique une lecture ou, à
l’époque tardive plusieurs lectures différentes; fort heureusement les
« déterminatifs » permettent de s’y retrouver.
Pour fonctionner cette écriture a
besoin, comme toutes les écritures, de signes
facilement identifiables,
facilement compréhensibles, sans ambiguïté, donc simples
aisément
reproductibles donc simples
appartenant
à un seul et même répertoire.
Ces
différentes caractéristiques se sont maintenues pendant plus de deux
millénaires sans grands changements mais, à l’époques tardive, le nombres des
hiéroglyphes s’accroît vertigineusement, plus de 5000, tandis que le nombre des
valeurs phonétiques attachées à un signe passe à plusieurs unités ou franchit
la dizaine ! Dans le même temps, la langue parlée évolue, la grammaire et
la syntaxe se modifient, et certaines formes de cursives se font les témoins de
ces changements en s’adaptant à leur époque. Et si le vieux système
hiéroglyphique est, de son côté, non seulement maintenu mais enrichi et
approfondi, c’est précisément parce qu’il est figuratif. C’est ainsi qu’un
ancien hiéroglyphe comme le tête humaine, qui signifie « la tête »,
est maintenant utilisé pour transcrire le nombre 7, tout simplement parce que
la tête est percée de sept orifices ; inversement, le groupement de sept
petites barres verticales signifie « la tête » et non plus 7 !
De tels jeux peuvent paraître dérisoires. Cependant le lecteur, contraint de
s’attarder sur son texte pour en résoudre les petites énigmes, est mis en alerte
et peut s’attendre à découvrir quelques subtils sous-entendus. Par exemple, le
dieu d’Esna, Khnoum (Kh+n+m en égyptien), est figuré sous la forme d’un bélier
occupé à façonner une motte d’argile sur un tour de potier ; c’est son
mode de création de l’humanité et, pour donner la vie aux êtres nouvellement
créés, il souffle sur son œuvre. Les scribes d’Esna, en puisant dans le grand
nombre des hiéroglyphes tardifs transcrivant les consonnes Kh, n, m, peuvent
écrire le nom du dieu de plusieurs dizaines de manières différentes. En
choisissant l’image du tour de potier (c) ou celle de la voile gonflée (d) par
le vent pour rendre la consonne n, ils dessinent à l’intérieur du mot un petit
tableau suggestif pour les yeux.
Les
conventions de dessin
Le mode de transcription de la
réalité utilisé permet, de son côté, de dessiner de façon parlante et simple.
Toutes les figurations se résument en effet à des vues en plan, de profil, de
face ou à des combinaisons de ces différentes vues entre elles. La
perspective est totalement rejetée parce qu’elle présente les êtres et les
choses de manière particulière, momentanée et incertaine, ce qui ne correspond
ni aux préoccupations égyptiennes tournées vers le permanent et l’immuable, ni
aux objectifs de l’écriture.
Pour de nombreux égyptologues, la
diffusion de l’écriture à travers tout le royaume au cours de la période des premières dynasties aurait permis
d’étendre dans le même temps l’utilisation des conventions de dessin en tout
lieu. Ecriture et dessin étant intimement liés, les représentations de scènes
sur des parois apparaissent comme des extensions du système hiéroglyphique. La
ronde bosse dépend elle aussi des habitudes régissant l’écriture : les
groupes sculptés sont faits pour être
regardés de face ou de profil ; certains d’entre eux sont à lire comme,
par exemple, le groupe du dieu faucon Houroun et de Ramsès. Enfin, des dessins
peuvent prendre des allures de signes. Le va-et-vient entre figuration et
écriture est donc constant.
Cependant, des images
conventionnelles mises au point très tôt, particulièrement caractéristiques de
l’art égyptien et valant pour elles-même, ont traversé les millénaires sans
avoir, à ce qu’il semble, de rapport évident avec le système hiéroglyphique.
La
représentation de Hésirê « dans
l’attitude de la marche » (e)
La représentation de Hésirê, fonctionnaire de la 3éme
dynastie (vers 2600 av. J-C), est un modèle du genre. Sa notoriété est due au
bon état de conservation du bas-relief, à son exécution remarquable, et encore
plus, à son attitude typiquement égyptienne. Le personnage, vêtu d’un pagne, se
dirige avec noblesse vers la droite ; il tient, de la main droite le
sceptre horizontal et, de la gauche un long bâton et le matériel du scribe.
Dans ce
dessin, les conventions sont à l’œuvre comme dans tout dessin égyptien :
l’œil de face s’inscrit dans une tête de profil, les épaules de face sont
posées sur un large thorax, les jambes et les pieds sont présentés de profil.
L’abdomen, reliant une vue de face à une vue de profil, semble être de trois
quart. Mais, malgré la position du nombril, à gauche du contour du ventre,
l’abdomen n’est pas de trois quart mais clairement de profil, comme le thorax. Pour s’en convaincre, il suffit de
comparer le profil droit de l’ensemble thorax et abdomen au profil gauche du
même ensemble : les deux profils ne sont pas symétriques ( le nombril est
à l’intérieur du profil droit parce que impossible à représenter de manière
compréhensible en vue de profil sur un contour ).
Cette vue ne
comporte pas de trois quart, elle est une combinaison de vues de profil et de
vues de face. Le résultat n’est certes pas réaliste et il est totalement exclu
de pouvoir marcher en adoptant cette attitude ! Cependant, l’image de
l’Egyptien marchant, bien au point comme d’ailleurs le système d’écriture à la
3ème dynastie, a traversé les millénaires sans jamais être modifiée, sinon dans
les détails. Son succès est partiellement responsable du caractère apparemment
stéréotypé de l’art égyptien.
La manière de représenter les êtres
humains, en particulier sur les parois des tombes (f), est tout autre :
certains sont en profil vrai, d’autres, assez rares, en vue de face ; les
artisans, dont les deux mains tiennent un même objet, ont souvent les épaules
de profil sur un thorax franchement de profil et fort peu large, sinon les deux
mains ne pourraient jamais se joindre. Il peut arriver qu’une divinité fasse
preuve de souplesse en accueillant un roi définitivement figé dans l’attitude
prestigieuse de « l’homme qui marche ». Autrement dit, les
conventions sont souvent aménagées sauf lorsqu’il s’agit de l’homme dans
« l’attitude de la marche ».
Il convient, pour lire aussi
objectivement que possible l’art égyptien, d’utiliser les conventions de dessin
égyptiennes et, partant, d’abandonner un peu les nôtres, ce qui n’est pas
toujours aisé. Muni de ce moyen, des relectures de dessins deviennent alors
possibles : la maison de Thoutnefer perd ses étages extravagants vus en
coupe et se retrouve entièrement en
plan, l’extraordinaire « montagne d’eau » (g) que nos prédécesseurs
croyaient voir au milieu de scènes de chasse dans les marais redevient un banal
étang vu en plan mais situé aux pieds d’un chasseur de profil…Par contre,
l’expression des portraits en ronde bosse, reste tributaire d’un intermédiaire
indispensable, le photographe, qui, en choisissant, un angle de vue, un fond,
un éclairage fait œuvre personnelle en nous éloignant de l’original.
La figure de Hésirê utilise, certes,
les conventions de dessin véhiculées par les hiéroglyphes mais elle ne vaut que
pour elle-même ; tous les « hommes dans l’attitude de la
marche » qui lui ressemblent jusqu’à l’époque romaine représentent plus
qu’un grand personnage, fût-il roi : ils sont avant tout l’image que
l’Egyptien conscient de son originalité et de son appartenance a voulu laisser
de lui-même dans le monde d’alors. Et cette image a si bien joué le rôle
d’emblème qu’elle est considérée comme caractéristique de la civilisation
égyptienne. Inventée en même temps que les hiéroglyphes à l’époque du roi
Narmer, vers 3000 av. JC, elle apparaît
pour la première fois sur ce véritable manifeste de la nouvelle civilisation
qu’est la « palette de Narmer » (h), prend sa forme définitive au
cours des deux premières dynasties tout en jouant les rôles de témoin et
d’acteur de l’unification de l’Egypte, pour connaître une diffusion des plus
larges au cours des millénaires.
Conférence
prononcée lors de l’Assemblée générale de l’Association,
par Jean-François Pécoil le 26 novembre 2006