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Un Vichyssois, roi du grand reportage : Albert LONDRES

10 mai 2005 

 

 

 

Marc MARTIN nous a présenté ce jour la vie et l’œuvre d’Albert LONDRES.

                Marc Martin est Maître de conférences honoraire à l’Université de Paris X-Nanterre, spécialiste de l’histoire des médias et des grands reporters, et Ancien Elève du Lycée Blaise Pascal

 

            Notre éminent « camarade », est venu nous présenter avec brio Albert LONDRES, auvergnat né à Vichy en 1884, mort tragiquement dans l’incendie du bateau qui le ramenait de Chine en France en 1932 ; l’année suivante était crée un prix portant son nom, pour récompenser les meilleurs journalistes français.

Quelle fut donc la vie de cet homme de taille moyenne, barbu, au crane dégarni, au chapeau mou devenu légendaire ?

Sa grande carrière commence véritablement en 1923, au bagne de Cayenne : son reportage suscite de vives réactions dans l’opinion, comme au sein des autorités. Il est désormais connu ; on est loin de ses débuts au MATIN, comme journaliste parlementaire, des articles de guerre, tel celui du 19 septembre 1914 relatant l’incendie de la cathédrale de Reims, et qui le fit connaître, puis des reportages pour le PETIT JOURNAL , dont il sera licencié sur ordre direct de CLEMENCEAU, pour avoir osé décrire le mécontentement des Italiens aux conditions de paix négociées à Paris, avant le traité de Versailles. Il avait déjà beaucoup voyagé sur les fronts du sud-est : Serbie, Grèce, Turquie ou Albanie ; avec son nouvel employeur, l’EXCELSIOR, ce sera l’URSS et les premiers voyages en Asie. Connu pour sa plume, publié par Albin Michel, il est embauché comme directeur littéraire du PETIT PARISIEN, publié à 1,5 million d’exemplaires, désormais lu par 5 ou 6 millions de personnes ! Ses articles très accusateurs sont publiés en première page ; dès le premier le ton est donné :

« Il faut vous dire que nous nous trompons en France. Quand quelqu’un – de notre connaissance parfois – est envoyé aux travaux forcés, on dit : il va à Cayenne. Le bagne n’est plus à Cayenne mais à Saint-Laurent-du-Maroni d’abord et aux îles du Salut, ensuite. Je demande, en passant, que l’on débaptise ces îles. Ce n’est pas le salut, là-bas, mais le châtiment… le bagne n’est pas une machine à châtiment bien définie, réglée, invariable. C’est une usine à malheur, qui travaille sans plan ni matrice. »

Il montre comment la faim tenaille les bagnards, et leurs conditions de détention : on les enferme tous les soirs,50 par 50, les affaires de mœurs sont courantes ; il n’est pas rare de retrouver au matin un bagnard éventré… 1000 morts en 1922 apprend-il ! Il dénonce le doublage : un homme condamné de 5 à 7 ans de travaux forcés, une fois sa peine achevée, doit rester le même nombre d’années en Guyane, s’il est condamné à plus de 7 ans, c’est la résidence perpétuelle :

            « Combien de jurés savent cela ?… Le bagne commence à la libération. »

 Comme il faut aussi effrayer et captiver les lecteurs, ses écrits sont des galeries de portraits : le guillotineur guillotiné, Ullmo considéré avec estime – officier de marine qui avait livré les plans d’un bateau aux Allemands et s’est converti au catholicisme -, l’amant de « Casque d’or », l’infirmier dévoué, Dieudonné de la bande à Bonnot, qui avait toujours nié le meurtre d’un caissier, roi de l’évasion, toujours repris, mais qui sera gracié en 1928, et combien d’autres encore Duez, Roussenq, Marcheras. Le reportage est inhabituel par le ton, l’affirmation du droit à la pitié, la commisération, au pardon, au retour… En 1938, le bagne est supprimé ; l’idée avait été lancée par Albert LONDRES et, chaque année, au départ des bagnards de l’île de Ré, depuis 1924, les journalistes étaient présents.

            En 1923, il a 39 ans et impose une conception nouvelle du grand reportage qui était jusque là un reportage de crise : la révolution russe, l’éruption de la montagne Pelée ou la guerre en Chine ! Pour la première fois un journaliste pose des problèmes de société. Il a trouvé sa voie ; on est loin des années de misère, de sa femme morte de tuberculose, lui laissant une jeune enfant élevée par la mère d’Albert, à Vichy, dans une famille modeste, mais à l’aise, de chaudronnier…On est loin de l’enfer des Dardanelles, qui le marquera à vie : tranchées, morts, misères. C’est un grand reporter, celui qui, selon sa définition, « ne connaît qu’une ligne, celle du chemin de fer ». Il gagne beaucoup et dépense autant ; c’est un aventurier, désormais chaque année sera celle de la publication d’un nouveau reportage. En 1924,  Biribi, les bagnes militaires accueillant les condamnés des conseils de guerre ; puis le Tour de France, « tour de souffrance », où il dénonce l’impitoyable et intolérable exigence physique réclamée aux cyclistes, « forçats de la route ». Certains reportages ne marchent pas, le public n’est pas mûr ; tel celui sur les asiles psychiatriques, où la dénonciation des mauvais traitements et de l’abus des neuroleptiques ne touche pas le lecteur, qui pense que « son devoir est de se débarrasser du fou et non de débarrasser le fou de sa folie » ! C’est aussi le cas avec le Chemin de Buenos-Aires, reportage sur la traite des blanches.

            Il voyage beaucoup en Afrique : Sénégal, Congo (période qui revient en mémoire de l’un des auditeurs dont Albert Londres avait croisé le père), quatre mois où il s’insurge contre l’esclavage et la colonisation responsable des crimes sur les noirs et sur l’esclave « qui ne s’achète plus mais se reproduit ». Il étudie la condition des femmes, qui passent après le chien et la pirogue !

            Le reportage de 1929 sur l’antisémitisme nous fait comprendre le terrain favorable trouvé par l’Allemagne en Europe ; son récit finit par Tel-Aviv ; il se prononce pour la création d’Etat israélien mais doute sérieusement d’une possible entente entre juifs et arabes…Prémonition ? Connaissance du terrain ?

            Les conditions du reportage sont spécifiques. L’enquête de terrain n’est qu’un moment et parfois le plus court : il faut des semaines, voire des mois de préparation, des recommandations, des autorisations des ministères, et, de retour de mission, au moins autant de temps pour rédiger. Le reportage est une œuvre travaillée et non d’improvisation. Cet homme curieux observe, transmet ses impressions, investit le quotidien, dialogue avec les petits, interroge les marges du monde, les zones d’ombre. Il décrit les absurdités, les injustices, les incohérences du pouvoir, refuse les compromis et ne cache pas ses opinions. C’est peut-être pourquoi sa mort brutale fait planer le doute : ses notes de reportage disparues dans l’incendie qui lui fut mortel, les personnes à qui il avait confié le contenu de sa découverte mourant à leur tour dans un accident d’avion : accidents ou attentats ?

                                                                                                                                    Ces coïncidences étranges, sa plume largement diffusée par nos éditeurs, des biographies pour le grand public bien vendues comme celle de Pierre ASSOULINE, ou votre intervention en petit comité – mais choisi – Cher Camarade nous permettent de réfléchir sur la naissance du grand reportage, sur cette passion actuelle du journalisme, mais avec la dimension d’un homme qui voulait être le champion de l’humanisme et qui, bien avant la charte de San Francisco et la naissance de l’ONU, avait pour objectif les droits de l’homme.

 

Rédigé par Danielle FOURT

Clermont-Ferrand, le 10 mai 2005

 

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