RCHIVES


Requiem pour un hôtel-Dieu

par le Professeur Jean BELIN, membre de l'Association

Le 25 novembre 2012, le professeur Jean Belin retraçant l'histoire l'Hôtel-Dieu de Clermont-Ferrand qui a fonctionné de 1773 à 1973, et où il a longtemps exercé et enseigné la médecine, a montré combien ces deux activités étaient liées dans ce cadre.
A l'origine, l'hôpital était seulement un lieu de soin.
Voici la teneur de son propos.


I - L'Hôtel-Dieu de Clermont-Ferrand lieu de soins.


     Les premières structures de type hospitalières apparurent environ un millénaire après les débuts de la médecine hippocratique, en Gaule, d'abord à Lyon, à l'initiative du fils de Clovis, puis au Puy en 596, et à Paris en 650, dit-on; ce sont autant des asiles ouverts aux pèlerins que des maisons de soins, avec seulement quelques lits. A Clermont, le premier, fondé par l'évêque Saint-Genès, fut celui du Saint-Esprit; ces installations, parfois dans les évêchés ou les couvents, sont quasi toujours intra muros et l'hôpital de Saint-Priest, entre Royat et Vallières, au VIIème siècle est une exception; on ne sait quand ils disparurent, mais au XVIème siècle existent encore l'hôpital Saint-Lazare, l'hôpital du Port, et, hors les murs, l'hôtel-Dieu Saint-Adjutor.


     Le XVIème siècle marque un tournant important car en 1566 Charles IX, sous l'impulsion de Michel de l'Hospital, donne aux civils l'administration des établissements hospitaliers, et, à Clermont, grâce à l'évêque Guillaume Duprat, dont le père fut chancelier de François Ier, il y eut un premier regroupement hospitalier, puisqu'en 1560 son héritage de 150000 livres environ est donné aux pauvres de l'Hôtel-Dieu, sous réserve de ce regroupement; restent donc l'hôpital Saint-Adjutor et l'hôtel-Dieu Saint-Barthélémy, reconstruit en 1293, au bas de l'actuelle rue des Gras, pour 110 lits, avec 3 à 4 malades par lits et consacré aux soins; à Montferrand, un hôtel-Dieu local regroupe en 1542 des léproseries devenues inutiles; l'hôpital Saint-Adjutor est plutôt un hospice pour les vieillards, les incurables, des invalides et des mendiants. Il y eut donc une séparation fonctionnelle.


     Le règne de Louis XIV amène un changement majeur. En 1656, il crée par ordonnance dans toutes les grandes villes un Hôpital Général, pour recueillir les mendiants, femmes abandonnées, filles perdues, enfants abandonnés ou orphelins, qui sont retirés de la rue, enfermés; on s'efforce de donner un métier aux valides et un peu d'instruction: ces hôpitaux s'autofinancent en fabriquant des étoffes et reçoivent des donations publiques ou privées, seules tolérées; l'Eglise ne peut donc plus gouverner ces nouveaux hôpitaux. A Clermont-Ferrand, l'hôpital Saint-Adjutor, rebaptisé Hôpital Général, est restructuré, et inauguré le 2 juin 1658. L'Hôtel-Dieu Saint-Barthélémy, lui, est passé de 110 à 148 lits.


     Pourtant de petits hôpitaux réapparaissent faute de place et pour une sorte de spécialisation ; ont été ouverts quelques lits à la Maison du Refuge (le Bon Pasteur) pour les filles pénitentes, quelques uns à la Maison des Hospitalières, dans le couvent des Augustins de Loches, qui avaient quitté Saint-Barthélémy après un désaccord avec la ville, (réglé devant la Cour des Grands Jours à Clermont en 1665); un hôpital de la Charité sera géré par des Tertiaires dominicaines, un hôpital Saint-Joseph dit des incurables, pour isoler les malades contagieux, dont les biens furent rattachés au nouvel Hôtel-Dieu à la Révolution; la Maison de La Chasse accueillait les prêtres âgés.


L'Hôtel-Dieu.


     La création d'un nouvel Hôtel-Dieu répond au manque de lits et au besoin de régulation entre les différents malades et maladies: à l'Hôpital Général, on réserve des lits aux aliénés, aux femmes atteintes de syphilis, et même aux enfants abandonnés, noyau du futur service « la crèche », pour les enfants assistés. Pourquoi a-t-on choisi l'emplacement, où pendant plus de deux siècles on soignera des malades de toute l'Auvergne? Parce qu'il est agréable et aéré, situation jugée favorable à la santé et à la dispersion des « miasmes » (on ne connaît pas encore les microbes), juste hors des anciens remparts.


     La construction s'échelonne de 1767 à 1773. Douze salles pouvant contenir 500 lits accueillent des malades civils (hommes ou femmes) et militaires; les soins sont confiés à deux chirurgiens, six élèves chirurgiens; le personnel soignant est formé de filles volontaires, de bonne famille, sous la coupe d'une gouvernante; à partir de janvier 1807, à l'installation des filles de la Charité de Saint-Vincent-de-Paul, c'est leur Supérieure, avec onze religieuses, qui pend le relais. Depuis l'édit de 1749 et jusqu'à la Révolution s'exerce la tutelle royale par des Lettres patentes; l'Hôtel-Dieu Saint-Barthélémy a fermé quelques mois après l'ouverture du nouvel hôpital.


     La période révolutionnaire amorça plusieurs évolutions. Dès 1789, les établissements hospitaliers sont placés sous la tutelle des administrations municipales, à Clermont, la « commission des hospices », ce qui a facilité les regroupements. Mais il y eut aussi des inconvénients, dont le principal fut financier. Sous l'Ancien Régime, l'Hôtel-Dieu vit des dons, aumônes, héritages, pourcentage sur des amendes et taxes, subsides donnés par les communautés religieuses, des confréries diverses, une part des revenus de l'Eglise, et le revenu de ses propres propriétés foncières. Mais la loi du 23 messidor de l'an II proclame que la presque totalité des biens fonciers hospitaliers appartiennent à " la Nation ". Une partie est vendue, le reste loué ou affermé, le patrimoine se dégrade par insuffisance des agents de la République, négligence ou cupidité des fermiers. Les crédits délivrés par la commission départementale de secours publics s'avèrent insuffisants ; les personnels bénévoles, autres que les membres des congrégations continuent leur travail avec leur peu de moyens; à l'Hôpital Général, les religieuses durent partir ou se séculariser.


     Mais des idées nouvelles confortent l'hôpital et favorisent son extension, notamment l'évolution vers les services orientés: un début de spécialisation, par pathologie. L'extérieur de l'Hôtel-Dieu changea peu; malgré la construction de l'aile de « la Colonnade », plein sud, vers 1814, l'afflux de malades, après les guerres napoléoniennes, fit que certains furent accueillis en plein courant d'air; et ce sont ceux qui guérirent le plus vite: la démonstration des bienfaits du grand air était faite et on ne construira pas d'aile nouvelle à l'ouest.


     Etat des lieux à la fin du XIXème siècle.


     Les trois ailes autour de la cour d'honneur accueillent,sur trois niveaux, les services médicaux et chirurgicaux, ainsi que les services administratifs afférents, et le logement de la communauté des religieuses. L'espace permettra aussi le logement de l'Ecole de médecine, 50 ans après sa création officielle en 1806. Les salles d'hospitalisation, avec leur 5 à 7 mètres de hauteur sous plafonds, donnent une impression de cathédrale, et les fenêtres, situées très haut, privent les malades de vue, mais ces vastes salles permettent de diluer les exhalaisons désagréables. Les installations sanitaires sont évidemment très limitées. Chaque salle comporte quarante à cinquante lits sur quatre rangées; sauf dans le service Saint-Vincent, qui comprenait quatre chambres d'isolement, tous les patients n'étaient soustraits à l'environnement que par des paravents mobiles, qui désignaient sans équivoque le sort terminal de l'isolé. Les salles d'opérations toutes blanches étaient largement éclairées par de grandes baies vitrées; tous les sols, revêtus de dalles de Volvic, se nettoyaient à grande eau javellisée, lorsque l'asepsie fut introduite par le professeur Hippolyte Bousquet, contemporain et ami de Pasteur. Le chauffage est assuré par quelques calorifères, et le mobilier est réduit au minimum nécessaire.


Evolutions et rénovations.


     Au fil du XIXème siècle, la notion de salle est progressivement abandonnée au profit de celle de « service », pour une organisation plus ou moins rationnelle des soins, un agencement particulier des locaux et une volonté et possibilité de traitement des grandes familles pathologiques ou par disciplines. En 1888, on distinguait sept services:

Le service de porte permet aux malades d'être examinés, avant admission, par le médecin de l'Hôtel-Dieu, éliminant folie, épilepsie ou idiotisme, puis servira à dispenser les consultations gratuites aux indigents.


     Entre 1887 et 1940 l'accélération de l'évolution des connaissances médicales, ainsi que l'augmentation de la population clermontoise entraînèrent des constructions nouvelles sur le terrain de l'hôpital. En 1890 fut construite la première maternité, puis l'école de sages-femmes. De plus, grâce au surplus de courant électrique produit pour le tramway de Jean Claret, l'hôpital s'équipa d'un premier et exceptionnel appareil radiologique. L'an 1929 voit la construction des pavillons de chirurgie et pathologie infantiles: on ne parlera de pédiatrie qu'après le repli de l'Université de Strasbourg à Clermont-Ferrand pendant la seconde guerre mondiale, et sous l'influence du professeur de pédiatrie Rohmer. La même année, le maire de Clermont, le docteur Philippe Marcombes, créa le bâtiment de la polyclinique, où pouvaient opérer tous les chirurgiens de la ville, puis les titulaires d'un service hospitalier, avec un enseignement à l'Ecole de médecine, ou les jeunes nouvellement installés. En 1935 est construit sur les côtes de Clermont l'hôpital Sabourin dédié aux tuberculeux, puis, à l'apparition des antibiotiques, aux maladies pulmonaires et à la chirurgie thoracique, ce qui déchargea le site de l'Hôtel-Dieu. L'an 1936 voit la construction du pavillon Emile Roux, avec un dispensaire anti-vénérien, des salles de dermatologie, et surtout le premier laboratoire de l'Hôtel-Dieu, un des plus modernes de France, sous la houlette du professeur Raoul Vaurs, venu de l'Institut Pasteur; c'est aussi l'agrandissement de la première maternité. En 1940, un nouveau pavillon accueille les malades susceptibles d'être soignés avec la pénicilline.


     De 1947 à 1970, l'hôpital connut de multiples chantiers de rénovations: la commission hospitalière avait opté pour la construction d'un nouvel hôpital, projet qui aboutit en 1971 à l'ouverture de l'hôpital Saint-Jacques, mais en attendant il fallut intervenir sur des locaux devenus vétustes et insuffisants, sans empêcher le fonctionnement des services, d'où la lenteur des multiples travaux, pour rénover les différents services et en installer de nouveaux.


     1971: ouverture de l'hôpital Saint-Jacques, devenu Gabriel-Montpied; le transfert de certains services permit de répondre à l'augmentation des besoins.


     La fermeture de l'Hôtel-Dieu résulte à la fois du besoin de rénovation, du désir de rassembler les problèmes d'obstétrique et de pédiatrie - un hôpital de la mère et de l'enfant -, et secondairement, avec la possibilité d'acquérir une grande surface extérieure, de l'idée de reconstruire un hôpital recevant tous les services de l'Hôtel-Dieu.


     II. L'Hôtel-Dieu lieu d'enseignement.


     Officialisé à Clermont par le Décret Impérial du 18 septembre 1806, créant à l'Hôtel-Dieu une Ecole secondaire de médecine, l'enseignement de la médecine existait déjà auparavant; quelques élèves, lors de ses visites ou opérations, suivaient l'enseignement du médecin-chef, chirurgien; le plus ancien, Laporte, soigna Pascal. Après un collège de médecins, officialisé par Lettres patentes en 1681, (neuf professeurs, un doyen, un secrétaire), un collège de chirurgiens est installé en 1749 ; ces collèges sont rattachés agrave; la Société Royale de médecine de Paris. Dès sa prise de fonction en 1769, Pierre Bonnet établit un enseignement régulier à Clermont et, malgré toutes les difficultés de la période révolutionnaire, poursuit soins et enseignement. La situation catastrophique liée à la suppression des Universités en 1792 avait amené dès janvier 1795 l'ouverture d'une école de santé à Paris, Montpellier et Strasbourg. A Paris, Vicq-d'Azyr (1748-1794) prônait déjà une unification de l'enseignement avec un tronc commun pour les médecins, chirurgiens, pharmaciens et sages-femmes. Guillotin (1738-1814) réorganise la profession et l'enseignement avec l'usage du franèais au lieu du latin, un enseignement de la physique et de la chimie, pour instituer un doctorat valable sur tout le territoire national. Des candidats des provinces sont envoyés à l'Ecole de santé de Paris ; deux viennent de Clermont : Jean-Baptiste Lavort et Jean-Baptiste Fleury, qui feront partie du premier groupe de professeur de médecine. Dans l'école secondaire de médecine, on recevait un enseignement de trois ans, pour le grade d'officier de santé, permettant de soigner dans le département ; pour finir les études doctorales, il fallait fréquenter une faculté.


     L'Ecole préparatoire de médecine et de pharmacie.


     L'Ecole secondaire de Clermont, par l'ordonnance du 13 octobre 1840, devient école préparatoire de médecine et pharmacie, ce qui augmente le nombre des enseignants. Jusqu'en 1855 quelques locaux de l'Hôtel-Dieu servent à l'enseignement (de novembre à fin août) sans exclusive, l'anatomie ayant droit à un petit amphithéâtre; la création d'une chaire spécifique à la pharmacie, tenue par le pharmacien Lamothe, n'intervient qu'en 1860 ; et ces études sont obligatoires à partir de 1864 ; auparavant il suffisait d'un stage de huit ans en officine. En outre, une donation généreuse de Hugaly Meyrand permit la construction d'une nouvelle aile de l'Hôtel-Dieu, qui restera lieu de soins et d'enseignement jusqu'en 1956.


     L'Ecole préparatoire réorganisée de médecine et pharmacie.


     L'Ecole n'a pas obtenu sa transformation en faculté, au décret de 1891 ; mais la construction de la première maternité, grâce au professeur d'accouchement Victor Nivet fut aussi importante. Clermont fut célèbre au XVIIIème par une sage-femme exceptionnelle, Angélique du Coudray, autorisée dès 1740, à faire des accouchements et à enseigner comme sage-femme de la ville et des faubourgs de Paris; revenue en Auvergne sous l'impulsion de l'intendant, protégée par M. de Ballainvilliers, son Abrégé de l'Art des Accouchements accompagné d'un mannequin de bois, reconstituant en grandeur réelle un bassin féminin, et d'un nouveau-né de chiffons lui valut les félicitations royales et la mission d'enseigner dans tout le royaume. La Révolution interrompit cette carrière. 1806 remit à l'honneur l'art de l'accouchement, confié à un chirurgien, jusqu'en 1893. Mais les installations du service d'accouchement étaient malsaines, ce qui condamnait la demande de transformation en Faculté. Le travail et la notoriété de Victor Nivet, sa générosité, et le jugement sévère de l'Inspecteur Général des Ecoles et Facultés sur les locaux, aboutirent à la construction d'une maternité moderne pour l'époque, puis d'une Ecole de sages-femmes, à proximité de la maternité. Après Nivet, décédé en 1893, le professeur Bousquet poursuivit son oeuvre ; tout récemment, le professeur Bruhat, directeur de l'Ecole de 1982 à 1996, doyen de la Faculté de 1997 à 2000 conforte la renommée de ce service avec la mise au point du traitement endoscopique.


     L'Ecole de plein exercice de médecine et de pharmacie.


     Par décret du 1er septembre 1928, l'Ecole devient de « plein exercice » : c'est le niveau supérieur des Ecoles de médecine, ce qui permet les cours jusqu'à la cinquième année, avec les examens passés sur place jusqu'à la quatrième année incluse, dans un jury présidé par un professeur de la Faculté de rattachement (Bordeaux en 1878 puis Toulouse), où se passent les examens de 5ème et 6ème années et la soutenance de thèse, jusqu'en 1956.


     La Faculté de médecine et de pharmacie.


     L'Assemblée Nationale décide la transformation de l'Ecole en Faculté en 1954 et le décret d'application, paru le 26 décembre 1955, permit l'ouverture de la Faculté en 1956. La ténacité de Pierre Luton fut décisive, avec la construction d'un bâtiment destiné à recevoir la nouvelle Faculté. L'afflux d'étudiants oblige à réaliser un nouveau bâtiment, à côté du nouvel hôpital en construction, l'hôpital Gabriel-Montpied qui ouvrira en 1971 ; la nouvelle Faculté est inaugurée en 1967 par le Premier Ministre Georges Pompidou, auprès du doyen Gaston Meyniel et de Alain Peyrefitte, gendre du professeur Luton.


     De 1773 à 2010, l'Hôtel-Dieu répondit à la double mission de soigner et d'enseigner, grâce au dévouement de tous ceux qui y oeuvrèrent.

Conférence prononcée le 25 novembre 2012, à l'occasion de l'Assemblée Générale de l'Association
Notes et rédaction de D. F.





Retour accueil