Bicentenaire du Lycé Blaise Pascal
Le colloque du 5 avril 2008 CLERMONT-FERRAND ( 1808 - 2008 ) Les grands Anciens du Lycée Blaise Pascal. |
par Jean-Pierre ROUGIER, journaliste à La MONTAGNE
Lorsque mon ami Patrick m'a sollicité pour plancher devant vous sur "les Grands anciens du lycée Blaise Pascal", j'ai été pris d'angoisse. Evoquer en moins d'une heure les "Grands anciens élèves de Blaise" me semblait relever presque de l'impossible, tant il m'apparaissait difficile de travailler à l'ombre de leur imposante stature.
Je m'en étais confié à Patrick, en maudissant le jour où j'avais accepté sa proposition. Tout d'abord il convenait d'établir une liste, et ce n'était pas chose facile. Il est sorti de cet ancestral bahut tant et tant de personnalités que nous avons dû sacrifier bon nombre d'entre elles sur l'autel du pragmatisme, tout simplement, en raison du temps qui m'était imparti.
Il était nécessaire ensuite de hiérarchiser. Par qui commencer? Lequel de ces grands anciens aurait le privilège de diriger l'ouverture de cet opéra de la mémoire? Procéder à une hiérarchie dans le temps? FACILE! Une échappatoire que nous avons rejetée. Faire un choix en situant chacun de ces Grands sur l'échelle des valeurs? Le processus ne pouvait relever que d'une appréciation subjective, et, puisqu'à Clermont tout se sait, nous pouvions nous attirer quelques inimitiés. Alors, d'un commun accord, nous avons choisi le hasard. Au hasard de la plume et de la mémoire, nous avons choisi des noms, puisés çà et là, qui nous permettront d'égrener quelques souvenirs dans le désordre.
Toutefois cette première approche du sujet m'a incité à vous livrer une réflexion. N'y voyez surtout aucune arrière pensée... Bien que!...
A l'ombre des géants, il y a les autres, tous les autres, les petits, les sans grades, les obscurs pour reprendre l'expression consacrée. Ceux dont les noms ne restent pas dans la mémoire collective, même lorsque, au lendemain des sombres époques, ils sont gravés en grand nombre, en trop grand nombre, sur le granit des monuments aux morts...
C'est tous ceux-là, du cancre au coeur grand comme ça, à l'élève "intelligent peut mieux faire" (j'utilise à dessein les guillemets... les journalistes n'ont pas l'apanage de la formule stéréotypée...) C'est tous ceux-là, et eux seuls pour vous l'avouer, qui ont ravivé des souvenirs très personnels, presque intimes... de la classe de onzième au petit Blaise chez Madame TOURY en 1947, à celle de Philo, au Grand Bahut, chez M. GRANIER en 1960. Dans cette dernière classe, où nous fumes nombreux à découvrir "l'art de réfléchir", il y avait M. DOPONT. Plus tard mon camarade enseigna la Philo à Blaise. Il nous a quitté prématurément, mais sa mémoire est toujours présente au sein de la chaî:ne formée par les anciens.
Mais quittons ce jardin secret que chacun d'entre nous aime entretenir avec quelques anciens qui sont restés amis ...POUR ENTRER DANS LA COUR DES GRANDS. Ces "Grands", je ne pourrais les citer tous, vous ai-je dit, j'ai retenu quelques noms pour rappeler ce qu'ils sont devenus au sortir de Blaise. Comme pour rafraîchir nos mémoires en livrant quelques portraits, quelques tranches de vie. Et vous m'excuserez, si, dans cet exercice, qui ne m'est pas coutumier, la mémoire m'a fait défaut. Vous y remédierez, j'en suis persuadé.
ALEXANDRE VARENNE |
1936. Alors que le gouvernement français oscille entre neutralité et
intervention face à la guerre civile espagnole, alors que Léon Blum,
au pouvoir depuis peu, prône l'intervention pour soutenir les républicains
espagnols, Alexandre Varenne écrit dans le journal LA MONTAGNE
qu'il a fondé le 4 octobre 1919 :
"L'intervention est nécessaire pour plusieurs raisons. Le droit international
ne l'interdit pas; Franco commence à être ravitaillé par l'Allemagne
et l'Italie, il faut donc soutenir nos alliés naturels, les républicains..."
Franc Maçon du Grand Orient de France (il ne s'en cachait nullement), il appartenait à la Loge clermontoise "Les Enfants de Gergovie" qui avait pris publiquement position en faveur d'une intervention. Dans son journal, il revendiquait ainsi haut et fort, comme il le fit toujours, la conception qu'il avait de la République, même s'il lui en coûtât plus tard d'accepter la politique de non intervention en Espagne, voulue par la France.
Alexandre Varenne était né dans une famille de petits commerçants clermontois. Au lycée Blaise Pascal où il fit ses études secondaires, il fut l'élève de Bergson en classe de philosophie. A Paris qu'il devait rejoindre après son service militaire, il prépara sa licence de droit qu'il obtint en 1897, tout en travaillant comme employé de commerce. Docteur en droit en 1898, il devint avocat à la Cour d'appel de Paris, et journaliste, collaborant à des journaux régionaux comme Le petit Clermontois et Le Stéphanois.
Ses convictions de gauche firent de lui l'un des organisateurs du Parti Socialiste dans le Puy de Dôme en 1897. Et ses convictions, il avait le souci permanent de les transmettre. Aussi, très tôt, il s'était tourné vers le journalisme. Après avoir collaboré à La Volonté et à La Lanterne, animés par Aristide Briand et René Viviani, il adhéra en 1901 au nouveau Parti Socialiste français de Jean Jaurès. Il fut d'ailleurs appelé par lui à l'Humanité après 1902 et créa, parallèlement, un hebdomadaire socialiste dans le Puy de Dôme, l'Ami du Peuple.
C'est le 4 octobre 1919, nous l'avons dit, qu'il créa La Montagne. Le titre avait été choisi en référence à la Convention. Bon nombre d'entre nous se souviennent encore de cette affiche qui affirmait symboliquement la vocation du journal avec le dessin d'un tribun à fière allure... Nombre d'entre nous se rappellent encore de cette "manchette" figurant au côté du titre:
"Aux foyers des aïeux nous avions pris la braise, vous n'avez gardé que les cendres..."
Varenne avait été Député socialiste du Puy de Dôme en 1906, battu en 1910, il avait retrouvé son siège en 1914 et fut constamment réélu jusqu'à 1936. Elu vice-président de la Chambre le 4 juin 1924, il fut reconduit à ce poste le 13 janvier 1925. Le 28 juillet de la même année, il fut nommé Gouverneur Général de l'Indochine. Dure épreuve pour lui, car, si je me réfère à l'ouvrage Histoire de la France au XXème siècle de Serge Berstein et Pierre Milza , il est pris en tenaille entre la résistance des colons européens, qui contestent toute mesure qui aboutirait à remettre en cause leur suprématie, et les mouvements nationalistes naissants qu'encourage en métropole le Parti Communiste. Malgré ce contexte défavorable, il va s'attacher, au nom de cette voie moyenne et modérée préconisée alors par le Cartel des gauches, il va s'attacher à construire des écoles, à organiser des campagnes de vaccinations et, au nom de l'égalité, favoriser les emplois pour tous et lutter contre toutes les formes d'exploitation coloniale. Autant dire qu'après l'échec du Cartel, les colons obtiendront son rappel.
Homme de combat, aux convictions toujours affirmées à haute voix, il fut de ceux qui contestèrent sans faillir tous les régimes totalitaires. Dans un vibrant hommage qu'il lui a rendu pour le cinquantième anniversaire de sa mort le 17 février 1997, Jean-Loup Manoussi, ancien directeur adjoint du journal, rédacteur en chef, prématurément disparu, rappelait que dès le 10 juin 1940, quelques jours avant l'appel du Général de Gaulle, Alexandre Varenne avait titré son éditorial: "Préparons la Résistance", une résistance soulignait-il "qu'il fallait prévoir et organiser en profondeur". Durant l'occupation, il s'opposa de toutes ses forces au régime siégeant à Vichy. Il sera aussi l'avocat de Jean Zay, ancien ministre de l'Education Nationale, Franc-Maçon comme lui, qui plus tard sera assassiné par la Milice.
La Montagne, son journal, fut celui qui, durant ces heures sombres, fut le plus censuré, à tel point que le 15 septembre 1944, il le saborda, expliquant dans un célèbre éditorial, qu'il préférait:
" ...briser sa plume plutôt que de la mettre au service de la tyrannie"
Jean-Loup Manoussi nous rappelle aussi que le 13 avril 1946, lors du débat
du projet de loi sur la dévolution de la presse, Gaston Deferre, Secrétaire
d'Etat à la Présidence du Conseil chargé de
l'information, témoignait:
"Tout le monde a su, proclamait il, tout le monde a su tout de suite que La Montagne
était un journal patriote. Tout le monde savait qu'à Clermont-Ferrand,
on pouvait trouver la Résistance à La Montagne. Et quand un de
nous avait perdu le contact avec son organisation dans le centre de la France, il
lui suffisait d'aller à La Montagne pour retrouver ses camarades."
Réélu député, Varenne siégea au groupe radical dans la première Assemblée Nationale constituante, puis dans celui de l'UDSR dans la seconde assemblée et à l'Assemblée Nationale. Il reconstitua le Parti Républicain Socialiste, qu'il fit adhérer au rassemblement des gauches républicaines. Il fut Ministre d'Etat du 24 juin au 16 décembre 1946.
Il nous a quitté le 16 février 1947.
Si vous voulez encore mieux le connaître, je ne peux que vous inciter à
lire l'ouvrage que lui a consacré Jean-Pierre CAILLARD, PdG du Groupe
Centre-France-La Montagne: Alexandre Varenne, une passion républicaine
Le Cherche-Midi (collection document)
FRANCOIS MICHELIN |
"Pouvez êvous définir cette culture Michelin à laquelle
vous vous référez souvent?"
En mai 2002 (j'étais encore en activité en qualité de journaliste
à La Montagne, j'avais posé cette question à François
Michelin, auquel l'image du "patron le plus secret de France" était si fortement
attachée. La réponse avait été nette:
"La culture Michelin est basée sur la recherche de la réalité
des faits..."
A ma deuxième question:
"Chez Michelin existe-t-il une constante?"
il avait persisté.
"Oui - avait il répondu - celle qui relève de la culture des
faits... Notre culture est faite de la compréhension commune d'un
équilibre entre chaque client, chaque actionnaire et chaque membre du
personnel, qui sont de fait inséparables, chacun devant penser à
ce qu'apportent les deux autres à la vie de l'entreprise et à leurs
besoins réciproques. Lorsque vous privilégiez, de façon exagérée,
les uns par rapport aux autres, vous engendrez des catastrophes."
Petit-fils d'Edouard Michelin et fils d'Etienne Michelin, François Michelin est né en 1926 à Clermont-Ferrand. Après des études classiques, dont une grande partie au lycée Blaise Pascal, il entre, en 1951, à l'usine des Carmes où il suit un stage d'intégration des ingénieurs. Pendant deux ans il travaille sur ce site avec les équipes en 3x8 comme ouvrier à l'atelier Poids Lourds et comme confectionneur de pneus pour voitures particulières à l'usine de Cataroux. Après avoir suivi un stage de commerce avec les voyageurs de la maison et fait le tour de France des garagistes, il effectue un stage de plusieurs mois en Italie, à l'usine de Turin, et se voit confier la responsabilité de l'atelier Poids Lourds aux Carmes.
Le 28 mai 1955, il devient cogérant de la Manufacture, avec Robert Puiseux, avant de devenir le patron en octobre 1959. Il appellera ensuite, en 1966, à ses cotés comme cogérants son cousin germain François Rollier, puis René Zingraff en 1986. En 1991 il appelle l'un de ses fils, Edouard, comme cogérant, lequel lui succédera en 1999.
L'image la plus véhiculée à Clermont-Ferrand, et qui perdure,
qu'on le veuille ou non, est celui d'un François Michelin dont la discrétion
n'a pas d'égal. Une discrétion, à la limite du secret soigneusement
entretenu, à l'ancienne, un peu "à l'auvergnate". Dans le même
entretien, que j'évoquais plus avant, et qui a été publié
le 16 mai 2002, je l'avais sollicité afin qu'il puisse définir les
relations qu'il entretenait, ès qualités, avec la métropole
régionale; nous avions parlé auparavant des nombreux plans sociaux qui
avaient vu fondre les effectifs... O combien! Après un bref silence, il avait
estimé que ses relations avec Clermont pouvaient être définies, je
le cite:
"...comme une bonne illustration de la culture philosophico-économico-politique
de la France, qui a toujours considéré les entreprises comme des pollueurs,
des enquiquineurs de toute sorte."
"Cela, fort heureusement, a évolué", s'était-il empressé
d'ajouter, rappelant, que lorsqu'il avait "planché devant le Conseil Municipal
de Clermont-ferrand, M. Roger Quilliot avait eu cette phrase extraordinaire:
"Nous commençons à comprendre votre philosophie du client..."
Et s'il avait maintenu le siège à Clermont-Ferrand, c'était
parce que ça représentait pour lui "une force énorme".
"A Clermont-Ferrand, confiait il, nous sommes près de la matière de l'usine et des hommes, et ça sent le caoutchouc! La conception française qui veut que tout soit concentré à Paris est stupide, comme est stupide de penser que les idées viennent d'en haut. Elles viennent du terrain, de la réalité. Mon grand-père m'a toujours dit "Tu sais, il y a beaucoup plus d'idées dans le crâne des gens qui tripotent la matière tous les jours. Ils savent des choses que nous ne savons pas, du fait que nous sommes trop souvent dans nos bureaux. "Voilà pourquoi le siège de Michelin est, et restera, à Clermont-Ferrand."
Clermont-Ferrand ne peut, cela va sans dire, qu'être associée à
Michelin, historiquement... Mais il apparaît aujourd'hui qu'il convient de dépasser
cette seule image qui nous plait, qui satisfait une certaine forme de chauvinisme,
mais qui tend aussi à occulter l'autre réalité. Une réalité
à laquelle François Michelin est DIRECTEMENT associé. Lorsqu'en 1955
il devient cogérant avant de devenir le véritable patron en 1959, la
manufacture est certes un acteur significatif à l'échelle européenne,
mais elle occupe la dixième place au niveau mondial! Elle est
en situation de "regional player" comme on dirait aujourd'hui. Insuffisant. Très
nettement insuffisant au regard de l'avenir et du marché. Il lui est indispensable
d'acquérir une dimension mondiale des plus conséquentes. Et c'est
là que se situe tout le talent de François Michelin. C'est sous son
impulsion que le groupe est aujourd'hui le premier fabriquant mondial de pneumatiques.
Le pneu radial y est pour beaucoup: pour mémoire sa technique a été
adaptée aux poids lourds en 1952, au génie civil en 1959, à l'avion
en 1981 et à la moto en 1987. Par François Michelin et sous son règne
le groupe, qui avait déjà des usines dans des pays européens,
s'est implanté industriellement au Nigeria en 1962, au Canada en 1971, aux
Etats-Unis en 1975, au Brésil en 1978, au Japon et en Thaïlande en 1988,
en Pologne en 1995, en Hongrie et en Chine en 1996, en Colombie en 1998 et en
Roumanie en 2001...
"La décision la plus importante, fut notre installation en Amérique du
Nord - avait souligné François Michelin, dans l'entretien qu'il m'avait
accordé - Elle relevait de l'évidence car le marché de l'automobile
était déterminant en Amérique du Nord et nous savions pertinemment
qu'il eut été préjudiciable de ne pas pouvoir travailler valablement
avec les fabricants américains de voitures. Il y allait de notre avenir. C'est
au regard d'un constat identique que nous nous développons aujourd'hui
(nous étions en 2002 lorsqu'il me le disait) en Asie et en Chine..."
Chacun le sait, Edouard Michelin, son fils, qui lui avait succédé, est
décédé tragiquement en mai 2006. En 2002, alors qu'il quittait
la gérance, François Michelin m'avait déclaré, et ce sera
là ma conclusion:
"J'estime que le dynamisme dont fait preuve mon fils est un facteur favorable, parce qu'il
a la capacité d'utiliser tous les axes du progrès. Aujourd'hui je quitte
la gérance. Mais on ne peut séparer un arbre de ses racines. Le vieil
arbre est toujours là, et les oiseaux, quant ils seront fatigués, pourront
toujours se reposer sur ses branches."
VALERY GISCARD D'ESTAING |
Il est né à Coblence en Allemagne le 2 Février 1926, où
son père était en poste en Rhénanie occupée par
les Forces Françaises. Ses études furent brillantes: Lycée
Janson de Sailly et Louis Le Grand à Paris et enfin le Lycée Blaise Pascal
à Clermont-Ferrand.
A 15 ans il décroche son double baccalauréat: philosophie et
mathématiques élémentaires.
A 18 ans il s'engage dans la Première Armée au sein de laquelle il combat
en France et en Allemagne, ce qui lui vaut la Croix de Guerre 1939-1945.
Valéry Giscard d'Estaing, polytechnicien doublé d'un énarque,
a 48 ans, lorsqu'il accède à la Présidence de la République
en mai 1974. D'extrême justesse, rappelons nous, puisqu'il a totalisé sur
son nom, au deuxième tour, 50,81% des suffrages contre son adversaire socialiste
François Mitterrand. Entre les deux tours, lors du débat télévisé
qui l'avait opposé à ce dernier, une phrase, aux dires de nombreux
observateurs, lui avait procuré cet avantage qui, pour lui fut décisif,
rappelons nous encore:
"Vous n'avez pas le monopole du coeur"
Car Valéry Giscard d'Estaing est l'homme des formules. Il affectionne ces expressions qui se veulent percutantes, qui parviennent en elles-mêmes à résumer une pensée et qui sont souvent teintées d'un humour quelque peu caustique. Nous lui devons entre autres, et je les cite pêle-mêle:
Rappeler brièvement sa carrière n'est pas facile tant elle s'inscrit dans une durée relativement longue...
Il a 29 ans lorsqu'en juin 1954, sous la IVème République, il est nommé
Directeur adjoint au Cabinet du Président du Conseil, Edgar Faure. Deux ans
plus tard, il accède à la députation dans le Puy de Dôme,
poursuivant en cela le chemin déjà tracé par son arrière
grand père Agénor Bardoux au XIXème siècle et son grand-père
Jacques Bardoux au XXème siècle.
A l'age de 33 ans, il est nommé Secrétaire d'Etat aux finances.
Nous sommes en 1959 et, trois ans plus tard, il devient Ministre des finances et
des affaires économiques. Le Général de Gaulle, qui l'avait
nommé à ce poste, le remplacera en 1966 par Michel Debré.
Il retourne alors d'où il venait : à l'Inspection des Finances.
Faut-il voir, à cette date, le fait déclencheur d'un nouveau comportement,
plus politique celui-ci, un comportement propre à ceux qui dirigent leur regard
vers le pouvoir? Celui, qui entre temps est devenu maire de Chamalières, se démarque
ostensiblement du mouvement gaulliste en créant "la Fédération
Nationale des Républicains Indépendants".
"Nous sommes l'élément centriste et européen de la majorité"
martèle-t-il, alors que son attitude envers le Général de Gaulle
devient de plus en plus critique. Il conteste ainsi, je le cite "l'exercice solitaire
du pouvoir", et surtout, surtout, il appellera à voter NON au référendum
du 27 avril 1969. On connaît la suite: démission du Général
de Gaulle, élection de Georges Pompidou, VGE, Ministre des finances de 1969
à 1974 dans les cabinets successifs de Jacques Chaban-Delmas et de Pierre Messmer,
puis candidat en 1974 à l'élection présidentielle après le décès de Georges
Pompidou. Bénéficiant du soutien de Jacques Chirac, il élimine
Jacques Chaban-Delmas au premier tour et l'emporte le 19 mai 1974.
Si j'ai volontairement mis l'accent sur cette partie ascensionnelle de sa carrière, c'est comme je le disais plus avant, pour dégager le volontarisme de cet homme politique qui, au moment voulu, savait utiliser la tactique la plus appropriée pour arriver à ses fins. Cette volonté, qui était la sienne, lui a permis de moderniser nos institutions. Il le souhaitait, et qu'on le veuille ou non, il fut le premier Président à amorcer un virage certain en la matière. Son septennat a été marqué par des réformes significatives. Pour mémoire:
Mais l'un des principaux chantiers de son septennat fut de donner un nouveau souffle aux institutions européennes. Tout au long de son mandat, il collabora étroitement avec le chancelier allemand Helmut Schmidt en créant le Système Monétaire Européen. Dans la lignée du rapport Davignon de 1970 sur la coopération en matière de politique étrangère, il entend créer un sommet européen afin de relancer celle-ci. Ce rendez-vous, initié en 1974, réunira les chefs d'Etat ou de gouvernement deux fois par an. Lors du sommet de Londres des 29 et 30 juin 1977, sont définies les trois principales missions du sommet européen: permettre un échange d'opinions des chefs de gouvernement, faire entendre "la voix de l'Europe" (la formule est de lui) et tenter d'apporter des réponses à des problèmes déjà examinés par les autres organes communautaires. Le Conseil Européen fut institutionnalisé en 1986.
Toutefois, VGE a été le premier Président de la République à être confronté aux deux premiers chocs pétroliers qui brisèrent la dynamique des trente glorieuses. En 1980 la France comptait 1 million 500 000 chômeurs. Déjà en décembre 1978, lors de l'appel de Cochin, Jacques Chirac avait donné de la voix qualifiant l'UDF et les Giscardiens de "parti de l'étranger" pour leurs prises de position pro-européenne.
Le 24 avril 1981, VGE arrivait en tête au premier tour de l'élection présidentielle, et le même Jacques Chirac en troisième position, refusa d'appeler les siens à le soutenir. Le deuxième tour fut fatal à VGE, et il n'obtint, face à François Mitterrand, que 48,24% des suffrages exprimés. Les téléspectateurs français eurent droit à un "au revoir" quelque peu théâtral. Les auvergnats le retrouvèrent en 1986 en qualité de Président de la Région, siège qu'il détint jusqu'en 2004, date à laquelle il fut battu par le socialiste Pierre-Joël Bonté. Les Clermontois, quant à eux, lui avaient refusé à deux reprises la première magistrature de leur bonne ville.
Il n'a pas cessé d'oeuvrer en faveur de l'Europe. Entre 1989 et 1993 il siège au Parlement européen et prend très clairement position en faveur du OUI lors de la campagne référendaire sur l'adhésion de la France au traité de Maastricht.
La Convention Européenne, dont il fut nommé président en 2001, travailla jusqu'au 15 juillet 2003 sur l'ébauche d'un traité constitutionnel. Il avait dit:
Je vous prie de m'excuser pour un oubli fâcheux. Je le répare:
"Depuis 2003 VGE a rejoint les Immortels de l'Académie Françaises
au fauteuil Nº16 laissé vacant après le décès de
Léopold Senghor. Il côtoie en ces lieux un autre grand ancien, Jean
d'Ormesson (à Blaise Pascal en 1943) qui occupe le fauteuil Nº12."
|
|
|
Claude LANZMANN |
Claude Lanzmann, réalisateur, scénariste et producteur est né en 1925 à Paris. Ses grands parents étaient des immigrés juifs de l'Europe de l'est qui avaient fui la misère et la persécution.
En 1940, il ne faisait pas bon s'appeler Lanzmann et le père de Claude, engagé dans la résistance, décide de quitter la capitale et emmène ses trois enfants, Jacques l'écrivain et le parolier décédé le 21 juin 2006, Evelyne et Claude en Auvergne. Il redoute les rafles et organise des exercices pour apprendre à ses enfants à échapper aux policiers et aux gendarmes.
Claude Lanzman avait réagi très vite. Il a 18 ans lorsqu'il organise la résistance avec une poignée de camarades au Lycée Blaise Pascal. Nous sommes alors en 1943. Il rejoint le maquis où son père joue déjà un rôle très actif et sera suivi peu de temps après par son frère ; il participe aux opérations de la Margeride et du Mont-Mouchet. Il est de ceux qui organisent des embuscades pour stopper les convois allemands dans le Cantal et la Haute-Loire. Ce qui lui vaudra la médaille de la Résistance avec rosette.
Et c'est le même Claude Lanzmann qui, au lendemain de la Libération,
en 1947, part étudier la philosophie à Tübingen en Allemagne, pour,
dit-il, "voir les allemands en civil". La lecture de Réflexions
sur la question juive de Jean-paul Sartre, paru en 1946, peut avoir dicté
sa conduite. Rappelons nous, Sartre écrivait alors:
"Je me refuse à nommer opinion une doctrine qui vise expressément
des personnes particulières et qui tend à supprimer leurs droits ou
les exterminer (...) L'antisémitisme ne rentre pas dans la catégorie de
pensée que protège le droit de libre opinion (...) Les antisémites
"pensent faux", comme ils ont peur du raisonnement, ils veulent adopter un mode de
vie où le raisonnement et la recherche n'aient qu'un rôle subordonné."
En 1952, les routes de Jean-Paul Sartre de Simone de Beauvoir et de Claude Lanzmann se rencontreront. Ils deviendront amis, et Claude Lanzmann, diplômé des Etudes Supérieures de Philosophie, journaliste, entrera au comité de direction des Temps Modernes que dirige Sartre.
Et c'est toujours au nom des droits de l'Homme, au nom de cette dignité humaine qui, pour lui, constitue un droit inaliénable, qu'il fera partie des dix inculpés parmi les signataires des 121 qui eurent le grand courage de dénoncer en 1957 la répression en Algérie.
Réalisateur, on lui doit Pourquoi Israël (1972), Shoah (1985); comme scénariste Elise ou la vraie vie (1970), Tsahal (1994) et Sobibor, 14 octobre1943, 16 heures. (2001).
A voir et à revoir.
Je vous remercie.
Jean_Pierre Rougier